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Exceptionnelle coupe aux divinités marines, c. 1840

Mercredi 08 juin 2022
Lot 77 - Coupe aux divinités marines
Lot 77 - Coupe aux divinités marines
Lot 77 - Coupe aux divinités marines
Lot 77 - Coupe aux divinités marines
Lot 77 - Coupe aux divinités marines
Album Maciet, Gravure de l’exposition de l’industrie 1844, pièces du surtout à dessert, n°383 « Surtouts, Pays divers XIXe siècle, France – Z »

COUPE AUX DIVINITÉS MARINES

Exceptionnel travail français du XIXe siècle, probable commande du duc d’Orléans

par Valentin de Sa Morais

en bronze richement ciselé et doré en or deux tons, lisse et amati, avec des incrustations de pierres dures en cabochon : lapis-lazuli, jaspe dalmatien, turquoise, pierre de dragon, séraphinite, obsidienne, malachite, quartz hématoïde et piétersite.

Le sommet de la coupe, orné de pampres de vigne et de cuirs enroulés, est flanqué de six mascarons féminins et masculins alternés dans des enroulements de cuir avec cabochons de pierres dures. Les têtes des mascarons peuvent correspondre à celles de Gaïa, déesse mère de la mythologie grecque, et de Pontos, dieu flot, son fils avec qui elle s’unit. Ils sont en effet représentés depuis l’Antiquité en compagnie de trois de leurs cinq enfants, Nérée dit le « Vieillard de la mer », leurs fils Thaumas et Phorcys, ou leurs filles Céto et Eurybie, devenus des divinités marines.

Le fût central est entouré par deux tritons et une néréide aux visages individualisés d’enfants enlaçant leurs doubles queues squameuses. Se tenant par les mains, ils s’appuient sur trois coquilles Saint-Jacques. Le fût est orné de trois cabochons de pierre dure surmontés d'un chapiteau corinthien.
La base, de forme circulaire, présente un décor ajouré de frises d’acanthes et d’entrelacs, orné de
six mufles de lion.
Les bronzes sont marqués à plusieurs reprises de la lettre D.

Haut. 48 Diam. 41,5 cm.
(Quatre cabochons accidentés, anses probablement manquantes).

LE "REVIVAL" LOUIS QUATORZIEN VERS 1830

Cette somptueuse coupe témoigne du goût pour les styles du passé, ou « revivals », qui animent décorateurs, marchands et collectionneurs tout au long du XIXe siècle. L’incrustation de pierres dures illustre ainsi l’engouement pour les objets montés au XVIIe siècle. De même, le vocabulaire décoratif utilisé sous Louis XIV est abondamment cité, à l’image des tritons à double queue inventés par Le Bernin pour la fontaine de la Piazza Barberini à Rome en 1643. On retrouve ces mêmes tritons sur la pièce centrale du surtout de table en argent du duc de Luynes dessinée par Jean-Jacques Feuchère et livrée par François-Désiré Froment-Meurice entre 1849 et 1854 (musée du Louvre, OA 12518 à OA 12520).

Surtout de table du duc de Luynes par Froment-Meurice, d'après <br />
Feuchère, c. 1849-1854, (inv. OA 12518 à OA 12520)
Surtout de table du duc de Luynes par Froment-Meurice, d'après
Feuchère, c. 1849-1854, (inv. OA 12518 à OA 12520)


Ce bronze devait quant à lui présenter à son sommet un couvercle ou une grande coupe en cristal maintenu par deux anses dont on observe le départ, telles les pièces du service à dessert en bronze doré livrées par Denière et Klagmann en 1844 à la duchesse d’Orléans (Musée des Arts Décoratifs, Paris, inv. 18273 A-C). La lettre D, frappée sur différents éléments, pourrait correspondre au patronyme de Denière, mais les archives de l’exposition des Produits de l’Industrie de 1844, ainsi que celles consacrées aux fameux artistes et artisans François Fannière, Henry de Triqueti, Jean-François Denière ou Aimé
Chenavard ne nous permettent pas d’identifier formellement l’auteur de ce chef-d’œuvre.

LES COMMANDES DE LA FAMILLE D'ORLÉANS

Le luxe exceptionnel déployé sur cette coupe indique qu’elle appartenait vraisemblablement à l’un des services commandés par le duc d’Orléans puis, après sa mort, par la duchesse d’Orléans, aujourd’hui disparus ou dispersés. Ferdinand-Philippe d’Orléans (1810-1842), fils aîné de Louis-Philippe Ier, alors roi des Français, s’inscrit dans la politique de mécénat de la maison d’Orléans. En janvier 1834 est ainsi annoncée la commande d’un surtout de table à Aimé Chenavard et Antoine-Louis Barye, dont le sujet et les moyens d'exécution sont entièrement laissés au goût des deux artistes. Les éléments étaient enrichis par des incrustations d'une grande quantité de pierres fines aux couleurs les plus vives et le centre formé par quinze pièces figurant des chasses réalisées par Barye. Denière, qui succède à Chenavard, ajoute à ce fabuleux ensemble un service à dessert.

Paire de candélabres réalisés par Chenavard, Denière et Feuchère <br />
pour le duc d'Orléans, c. 1842, Metropolitan Museum of Art, New York, (inv. 2020.96.2).
Paire de candélabres réalisés par Chenavard, Denière et Feuchère
pour le duc d'Orléans, c. 1842, Metropolitan Museum of Art, New York, (inv. 2020.96.2).


Il collabore à l’ouvrage avec différents artistes et industriels, notamment Moine, Mention, Wagner, Klagmann, Fratin, Feuchère, Pradier et Barye. Las, le surtout n’est pas fini à la mort du duc d’Orléans en 1842, ni même en 1848 lorsque Louis-Philippe est renversé. On le découvre finalement lors de la vente de la collection de la duchesse d’Orléans qui se tient du 18 au 21 janvier 1853. Le procès-verbal de la vente, dirigée par Me Bonnefons de Lavialle à Paris, ne recense pas moins de 192 lots d’objets d’art vendus lors des deux premiers jours, dont le grand surtout de table et le service à dessert. Vingt-six coupes et pièces de forme en bronze doré pourraient correspondre à la nôtre.

Pièces du service à dessert du duc d’Orléans corbeille à fruits et paire de compotiers, 1840-1842, <br />
par Denière et Klagmann, Musée des Arts Décoratifs, Paris, (inv. 18273 A-C).
Pièces du service à dessert du duc d’Orléans corbeille à fruits et paire de compotiers, 1840-1842,
par Denière et Klagmann, Musée des Arts Décoratifs, Paris, (inv. 18273 A-C).


LA VENTE DE LA COLLECTION DE LA DUCHESSE D'ORLÉANS

Si les prix des groupes de Barye varient de 4 100 francs à 7 100 francs pour la chasse à l’ours acquise par Demidoff, les autres coupes se vendent entre 2 850 francs et 5 800 francs à divers amateurs, dont le bronzier Denière qui rachète ses productions. Les objets sont décrits sommairement : « coupe aux oiseaux » (lot 104), « coupes à fruits » (lot 106), ou pièce de milieu « avec ornements modelés, moulures dorées et pierreries » (lot 120). Les quinze pièces du service à dessert, dont une paire de candélabres vient d’entrer au Metropolitan Museum of Art (2020.96.1,2), sont vendues sous la simple appellation de « bronze doré et monté » sous les numéros 166 à 199. Notre coupe de grande dimension est donc un rare témoignage de l’excellence du savoir-faire parisien, à une époque où l’industrie triomphante s’apprête à mécaniser et envahir les arts décoratifs. Sa commande se rattache inévitablement à la famille d’Orléans, dont le mécénat illumine la France et le règne de Louis Philippe.

Procès verbal de la vente de la collection de la duchesse d'Orléans <br />
dirigée par Me Bonnefons de Lavialle à Paris du 18 au 21 janvier 1853, (Archives de la ville de Paris)
Procès verbal de la vente de la collection de la duchesse d'Orléans
dirigée par Me Bonnefons de Lavialle à Paris du 18 au 21 janvier 1853, (Archives de la ville de Paris)


Nous remercions Fabienne Fortier, archiviste, qui a documenté le service à dessert du duc d’Orléans et Bertrand de Royère, historien de l’art spécialiste de la Maison Odiot, pour leurs précieuses suggestions.

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