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À la recherche du temps perdu

Lundi 25 avril 2022 à 07h

Cette semaine, Philippe soumet à notre expertise un régulateur de chemins de fer : une montre emblématique de la grande aventure du rail. Notre commissaire-priseur, Philippe Rouillac, l’éclaire sur ses caractéristiques et son histoire.



Le développement des chemins de fer est indissociable des progrès techniques de la Révolution Industrielle. Améliorée par le blésois Denis Papin, la machine à vapeur se mue au cours du XIXème siècle en locomotive puissante. Les temps de déplacement entre les villes se raccourcissent, et la mobilité des hommes et des marchandises s’accroit fortement. Mais la maîtrise de l’espace ne peut pas se faire sans la maîtrise du temps, car les accidents impressionnants et mortels sont souvent dus à l’imprécision des chronomètres de l’époque. Comment oublier les images spectaculaires de la locomotive de l’express Granville-Paris traversant la façade de la gare Montparnasse en 1895 et terminant sa course folle sur le parvis ? Cette tragédie, qui a coûté la vie à la malheureuse vendeuse d’un kiosque à journaux, est à mettre sur le compte d’un chronomètre imprécis. En effet, le conducteur, trompé par sa montre trop peu fiable, accélère pour rattraper son retard, et les freins ne peuvent plus arrêter la locomotive lancée à pleine vitesse !

C’est donc dans l’optique de réguler le trafic ferroviaire de la manière la plus efficace possible, mais aussi pour éviter les drames, que les compagnies de chemins de fer commandent aux horlogers des montres précises et fiables appelées régulateur. Hamilton aux Etats-Unis, Zénith ou Oméga en Europe, équipent les cheminots avec des montres goussets à la mécanique de grande précision. En France, le métier de cheminot est structuré sous Napoléon III, et la seconde partie du XIXème siècle voit le nombre de kilomètres de voies exploser. Au début du XXème siècle, les grandes compagnies régionales se partagent le maillage ferré national. Le long de la Loire c’est la compagnie du chemin de fer de Paris à Orléans qui opère, partant de la gare d’Orsay avec de belles gares comme celle de Tours. Cependant, l’Etat cherche à créer une unité dans le matériel fourni aux employés. Ce sera la compagnie L. Erbeau et Cie, à Paris, qui remportera ses faveurs, fournissant de très nombreux régulateurs aux différentes compagnies.

Celui qui nous est proposé cette semaine, en métal argenté, présente un décor de locomotive au centre du cadran et de fines aiguilles dorées. La finesse des aiguilles renforce la précision de la lecture du temps. Les cartouches des heures, émaillés de bleu, sont en chiffres arabes plutôt que romains, conférant une simplicité d’utilisation maximale à l’objet. Le cadran des secondes est situé à six heures. Ce joli régulateur à gousset, opulent dans sa conception, n’a cependant probablement jamais servi à gérer le trafic ferroviaire. Il s’agit d’un modèle d’apparat, à la mode au début du XXème siècle. La présence - ou non - d’un numéro de série gravé à l’arrière de la montre peut se révéler un indice important pour déterminer son utilisation passée. En effet, à l’époque, les compagnies répertorient de façon précise le matériel distribué à leurs agents.

La valeur de la montre gousset présentée est donc plus sentimentale que pécuniaire, et même si elle pourrait intéresser des collectionneurs, il faut compter aux alentours de 30 € pour un modèle de ce type. Cependant, cher lecteur, avec un tel objet remis en état, vous n’aurez jamais un train de retard !
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