Point de génie sans un grain de folie

La Gazette Drouot, Caroline Legrand

Provenant de la collection du docteur Henri Faure, cette œuvre n’est que l’élément central d’une immense fresque réalisée par un patient, Eugène B. dit «le délirant chronique», vers 1927-1933.

Si l’art asilaire, «l’art des fous» selon les termes d’André Breton, a fait son entrée au musée en France dans les années 1940, grâce à Jean Dubuffet — qui en fit l’un des fondements de son art brut en pleine élaboration — il était étudié depuis des décennies, voire des siècles, par des professeurs et des chercheurs. Citons au début du XXe siècle le psychiatre allemand Prinzhorn, à Heidelberg, ou le docteur Walter Morgenthaler à la clinique de la Waldau, près de Berne. Mais c’est en Alsace, à Rouffach vers 1927-1933, que cette œuvre nous emmène. Elle n’est que la partie centrale d’une composition immense, sauvée en partie par le chef surveillant de l’asile lors de travaux d’assainissement puis passée dans la collection du docteur Henri Faure (1923-1999), médecin psychiatre à l’hôpital de Bonneval, et enfin conservée dans sa descendance.

Réalisé sur plusieurs feuilles de papiers accolées, ce dessin ornait entièrement un mur de la chambre de son auteur. À l’aide d’une canne déployante, celui-ci prenait plaisir à expliquer à ses visiteurs son travail, qu’il décrivait comme le symbole de son histoire. On le connaît sous le nom d’Eugène B. Né en 1872, il était marié, père de trois enfants et conducteur de locomotive au sein de la Compagnie de chemin de fer de l’Alsace Lorraine quand il commença, en 1912, à manifester des troubles psychiatriques. Il fut interné dix ans plus tard. Son psychiatre de l’époque, Henri Ueberschlag, étudia son patient et son œuvre dans un ouvrage intitulé Un délirant chronique. Son histoire - Son langage diagnostic. Le docteur Henri Faure compléta également cette analyse.

On peut voir dans cette œuvre une vue de la propriété familiale incendiée par un prêtre, la ville de Carcassonne, la gare de Mulhouse, un canon tirant des obus de «grand droit canonique» depuis la place Saint-Pierre de Rome en direction d’un autre posté devant le palais de justice de La Haye, mais encore des armoiries, des sceaux, des soldats en uniforme… Autant d’éléments rappelant le traumatisme de la guerre et une histoire familiale complexe, tandis que les deux locomotives, en partie basse, s’éloignant en sens inverse l’une de l’autre, symboliseraient la schizophrénie. Reste une œuvre fourmillante, parlante et unique.

AGENDA

Dédiée aux arts graphiques, cette vente mettra à l'honneur un sujet rare, l'art asilaire. C'est en effet à un patient schizophrène interné à Rouffach en Alsace, nommé Eugène B., que l'on doit cet incroyable dessin et collage réalisé en 1927-1933 et intitulé par lui Le Symbole de mon histoire : une œuvre complexe et intrigante qui pourrait provoquer une bataille d'enchères à hauteur de 15 000/20 000 €. Changement de style en compagnie de l'expressionniste russe Michel Kikoine, présent avec un Coin d'atelier dont on attend 10 000/15 000 €, mais aussi d'un Portrait de George Washington d'un peintre américain du XIXe de l'atelier de Gilbert Stuart (même estimation). L'artiste voyageur Alexandre Iacovleff s'intéresse enfin à la mythologie dans sa toile Combat des Centaures et des Lapithes de 1928, une œuvre également symbolique puisque « Centaure » était le surnom donné au peintre par ses amis de la diaspora russe.

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dimanche 20 mars 2022 - 14:00 (CET) - Live
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