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N’est pas Chinois qui veut

Samedi 12 février 2022 à 07h

Cette semaine, Odile nous apporte une lampe mettant un coup de projecteur sur le Nouvel An chinois qui vient d’être fêté par les habitants de l’Empire du Milieu ! Notre Commissaire-Priseur Philippe Rouillac nous donne son avis.



Si vous êtes une lectrice attentive, vous savez que la Chine millénaire trente fois plus grande que la France, fascine l’imaginaire des artistes et artisans européens. Ce n’est donc pas étonnant que votre trésor ressemble davantage à un vase en porcelaine de Chine à décor bleu et blanc qu’à une lampe usuelle… Votre objet est assemblé à partir d’un vase d’une trentaine de centimètres percé à sa base et monté sur un socle en métal doré. Comme on dit dans le jargon, votre vase a été « électrifié » ! On a transformé l’usage premier de cet objet pour y insérer un corps métallique recevant à son sommet une douille et une ampoule. Ces jolies vases électrifiés apportent une touche chaleureuse à un intérieur.

Mais si chaleur il y a, chère lectrice je vais rafraîchir l’atmosphère, car cette lampe n’est pas de la porcelaine chinoise, mais plutôt une chinoiserie ! Toutefois, n’ayez crainte, le terme de « chinoiserie » est devenu péjoratif, mais ça n’a pas toujours été le cas et nous allons le démontrer. À l’heure des contrefaçons en tous genres, vous allez voir que celle-ci ne manque pas de mordant, car oui, l’imitation de la porcelaine bleue et blanche de Chine est une aventure… Une aventure presque aussi palpitante que celles de Tintin lorsque, dans le Lotus Bleu, il se cache dans une potiche ! Et ne vous cachez pas avec Milou ma chère Odile, car je vous emmène dans la puissante ville de Delft, au cœur de la richissime Hollande du XVIIème siècle !

Alors que l’Empire colonial portugais est à l’avant-garde, les premières expéditions ramènent leur lot de trésors, notamment de la porcelaine blanche comme neige et décorée d’un bleu aussi pur que le lapis-lazuli des mines afghanes. On ne connaît à cette époque en Europe que la faïence, ces pièces en terre cuite recouvertes d’un engobe imperméabilisant. Ce sont des pièces lourdes, rayables et dont l’étanchéité peut varier en fonction de l’habilité de l’artisan. Avec la porcelaine, c’est tout l’inverse : transparence, légèreté, étanchéité ! Jalouses de cette pâte que l’on appelle « porcelaine », les cours royales encouragent des compagnies commerciales, les « compagnies des Indes » à rapporter d’Asie des porcelaines. Ces voyages sont périlleux, les marins affrontent océans, tempêtes et même des pirates ! En parallèle, on cherche le secret de ce procédé et force est de constater qu’un ingrédient manque à la recette : le kaolin, ingrédient dont on découvrira l’existence seulement un siècle plus tard. En attendant, on imite avec talent cette porcelaine qui fascine. Delft devient la capitale de la faïence bleue et blanche. Les artisans les plus géniaux ajoutent au blanc une pointe de bleue pour obtenir ce fameux velouté.

Cette production donne des idées fantasques. Le Palais Santos à Lisbonne, hier demeure de la famille de Christophe Colomb et aujourd’hui ambassade de France au Portugal, possède un salon dont le plafond est couvert de faïences et porcelaines bleues et blanches. En 1668, Louis XIV construit à Versailles une « folie » : le Trianon de Porcelaine. Malheureusement disparu aujourd'hui, ce pavillon était garni de faïence de Lisieux et de Delft.

Si les vases les plus recherchés sont certainement ceux provenant d’Asie, car ayant résisté aux abordages, aux naufrages, aux révolutions et aux gestes maladroits, les copies hollandaises et françaises, dont la manufacture de Rouen donne une interprétation pleine d’esprit, sont encore très recherchées.

Malheureusement, la qualité du décor de votre vase, la manière dont ces fleurs sont stylisées et la régularité du dessin nous porte à croire qu’il s’agit d’un travail moderne. Il pourrait s’agir même d’une production récente de Hong-Kong copiant Delft. Pour cette lampe qui nous a permis d’éclairer un aspect passionnant de l’histoire de la porcelaine et de la faïence européenne, nous pouvons articuler un prix autour de 50 euros. A chaque voyage, Chine – Delft – Hong Kong, on enlève un zéro…
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