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Une cuillère pour le paradis de Charles Baudelaire…

Samedi 05 février 2022 à 07h

Cette semaine, l’un de nos lecteurs nous apporte une cuillère à opium. Cette substance, instrument essentiel du poète pour Baudelaire, « clef pour comprendre l’Orient » pour Jules Boissière, fait l’objet depuis sa découverte de tout un cérémonial.



Même s’il peut être bu en décoction ou avalé, l’opium est généralement fumé à l’aide d’une pipe. Cette dernière est remplie à l’aide de cuillères à opium afin de garantir les bonnes proportions avec élégance et esthétisme. Comment est produit l’opium ? Quelle est sa tumultueuse histoire ? Aymeric Rouillac, notre Commissaire-Priseur, répond à nos questions.

L’opium fait partie de la famille des opiacés au même titre que l’héroïne ou la morphine. Cette substance provient du suc – sorte de latex blanc laiteux – que produisent les capsules de pavot somnifère. Le suc est séché pour former une résine brune : l’opium.

Déjà connu des Sumériens au IVème millénaire av. J.-C, l’opium et ses effets font l’objet de fascination au point d’être considérés par ce peuple comme de nature divine. Apprécié pour ses propriétés sédatives et analgésiques, l’opium fait l’objet d’un important commerce à travers toute la Mer Méditerranée sous le nom grec d’opion, « jus de pavot ». Introduit en Inde dès le IXe siècle par l'invasion des Arabes et des Perses, l’opium s’étend à travers toute l’Asie. L’usage de l’opium durant le Moyen Âge est exclusivement médical. Ce n’est qu’au XVIII ème, que face à une trop forte consommation, l’Empereur de Chine Yōngzhèng décide en 1729 d’en interdire l’importation. Cette prohibition donne lieu durant tout le XIX ème à du trafic qui aboutit de 1839 à 1842, à la Première guerre de l’opium. Ce conflit, qui oppose les troupes chinoises aux troupes franco-anglaises, cause le pillage de nombreux palais, notamment le célèbre Palais d’Été. Mais ce n’est qu’à l’issus de la Seconde guerre de l’opium (1856 – 1860), que la Chine décide de reprendre l’importation sur son territoire et d’en faire un monopole d’État. La consommation d’opium touche toute les couches de la population mais elle se fait de différentes façons selon la richesse du consommateur. En effet, les très riches ont souvent un fumoir privé dans leur propre maison et un serviteur qui prépare l'opium pour eux. Les fumeries publiques haut de gamme offrent des lits richement décorés, des kits d'opium finement sculptés ainsi que des employés qui préparent les pipes. Dans les fumeries d'opium à bas prix, les fumeurs se mettent sur un tapis ou sur des lits partagés et apportent leur propre matériel. Les fumeurs d'opium se couchent sur le côté, lors de la préparation, dans un lit à trois côtés soulevés pour qu’aucun courant d’air ne puisse remuer la flamme de la lampe à opium et interrompre la fumerie. La préparation ce fait quant à elle avec un kit d’opium constitué d'un plateau, d’une pipe, d’une boîte d'opium, d’une lampe, d’une cuillère et d’autres ustensiles. Ces scènes de fumeries inspirent les artistes et sont le sujet de nombreuses gravures et représentations.

La cuillère que nous apporte notre lecteur fait partie de ce genre de kit. Fabriquée en bronze, elle présente une faible ornementation contrairement à d’autres modèles qui peuvent être bien plus élaborés. La tête de la cuillère reprend la forme d’une assiette à large marli. Le manche, de section carrée, est dépourvu d’ornementation et se termine par un anneau qui permet d’accrocher la cuillère. Une telle cuillère peut atteindre aux enchères une somme avoisinant les 100 €. De quoi, s’offrir un bel exemplaire du Paradis artificiel de Charles Baudelaire.
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