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Un service de vieillard...pour jeunes mariés !

Samedi 16 mai 2015

Aymeric Rouillac, commissaire-priseur, répond cette semaine à Suzanne qui souhaite connaître l’estimation d’un service de table en faïence en vue de le vendre. Le profit sera reversé à une association.

Décor rayonnant en camaïeux bleu de lambrequins, ferronneries et rinceaux feuillagés rime avec Rouen. Mais la qualité de cette assiette n’arrive malheureusement pas à la cheville des productions XVIIIe de la célèbre manufacture normande. En effet, d’une part cette assiette est en faïence fine, et d’autre part, son décor est imprimé par décalcomanie. Pour le réaliser, un papier décoré du motif et recouvert de vernis est appliqué sur la pièce. Il y laisse son décor une fois retiré. Ce procédé, inventé par nos voisins d’Outre-Manche au XVIIIe siècle, permet, à l’inverse du décor peint à la main, d’orner de très nombreuses faïences en un temps très court. Cette production à bas coût inonde le marché français à partir de la moitié du XIXe siècle. D’abord dominé par les manufactures anglaises, le secteur est bientôt concurrencé par des entreprises françaises telles Choisy, Creil, Montereau, ou encore Jules Vieillard, à Bordeaux.

C’est la marque de cette dernière, « JVB », que porte le service de notre lectrice. En 1840, Jules Vieillard s’associe à l’industriel David Johnston, alors directeur de la manufacture de faïences de Bacalan. En faillite quatre ans plus tard, c’est Vieillard qui la reprend, pour la porter aux sommets. En 1844, l’usine emploie déjà 700 ouvriers et produit jusqu’à 70 000 pièces par semaine ! Il y apporte des procédés innovants et obtient maintes fois les honneurs des expositions universelles parisiennes. En1852, Napoléon III visite Bordeaux et sa fameuse manufacture. Il remet à cette occasion la Légion d’Honneur à son directeur. Ce dernier recherche une certaine indépendance pour son approvisionnement en matières premières. Il va briser ses partenariats étrangers pour se fournir dans le Sud-Ouest de l’Hexagone. En revanche, il profite du port de Bordeaux afin de charger des services de faïence entre les tonneaux de grands vins, et ainsi les exporter dans le monde entier. La production de style anglais est peu à peu abandonnée au profit de formes et de décors riches et inventifs. La Chine et l’Orient s’invitent dans la Belle Endormie. Grâce à un style séduisant, à des couleurs vives et à une belle qualité de production, le succès est considérable. En 1859, le compte rendu de la Xe Exposition Philomathique de Bordeaux déclare : « JulesVieillard est à la tête d’un des plus beaux établissements que la France puisse opposer aux manufactures anglaises ». À sa mort en 1868, l’entreprise revient à ses deux fils et comptera jusqu’à 1 400 ouvriers. Au décès du dernier frère Vieillard, en 1895, l’entreprise périclite de façon fulgurante et ferme ses portes en quelques mois.

Le service de notre lectrice compte 50 pièces. Il est incomplet et, comme visible sur la photographie de l’assiette, semble en mauvais état. En effet, les microfissures de l’émail permettent parfois l’infiltration d’eau qui pénètre dans la faïence poreuse, la tache et la teinte en jaune. Ajoutons à cela des égrenures et autres fêles qui sont certainement présents çà et là… De plus, ce type de décor, nous l’avons vu, orne la production bas-de-gamme de la manufacture Vieillard et n’est pas recherché par les collectionneurs; contrairement aux productions d’influence exotique, ou présentant un décor plus élaboré. Citons notamment un service de 92 pièces à décor polychrome « Nella », vendu 2 800 € par nos soins en 2013. Celui de Suzanne devrait trouver amateur en brocante pour une centaine d’euros. Un prix battant toute concurrence sur une liste de mariage !

Depuis mardi dernier et jusqu’au 21 septembre prochain, le Musée des Arts Décoratifs de Bordeaux présent une exposition aux pièces exceptionnelles de cette manufacture provenant d’une collection privée. Voici une belle occasion d’aller les découvrir.
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