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Surtout, il y a surtout et… surtout !

Samedi 06 novembre 2021 à 07h

Cette semaine, une lectrice de Cour-sur-Loire nous envoie la photographie d’un « surtout de table ». Aymeric Rouillac, notre commissaire-priseur, nous fait part de son avis



Si d’après Molière « il faut manger pour vivre et non pas vivre pour manger », c’est qu’il ne connaissait pas les bonnes adresses du Loir-et-Cher ! La table est une fête et au fil des siècles, son cadre, sa mise en scène a évolué. La pièce phare des arts de la table c’est : le surtout.

Conçu parfois par les plus grands orfèvres, le surtout est une architecture miniature au cœur de la table. Héritier des nefs de tables et autres pièces d’orfèvrerie de la Renaissance, ils servaient tant à présenter des objets du service comme l’huilier ou le vinaigrier, qu’à renfermer à double tour des objets plus précieux tels que boîte à épices ou sucrier. Cependant, avec l'évolution des usages, le surtout perd progressivement sa fonction utilitaire et fonctionnelle pour devenir un décor de table.

Le terme de surtout arrive lors des dernières années du règne de Louis XIV et s’explique par celle du service à la française, service selon lequel, au cours d’un repas, la table est garnie puis débarrassée de tous les mets qui composent chaque service. Seuls les aromates et épices se trouvent alors en permanence sur la table. C’est de là qu’est venue l’idée de les mettre ensemble dans un espace fixe, que l’on signale par une architecture aussi décorative qu’utile : le surtout de table. Parmi les exemples les plus fameux, on se souvient de ceux provenant des vingt tonnes d’argent massif du mobilier du Roi-Soleil, mobilier qui lui avait coûté dix millions de livres en 1682 et qui après sa fonte ne lui en rapporta que deux !

Posé sur son plateau à fond miroité, le surtout de notre lectrice, s’il a probablement trois cents ans de plus que les surtouts d’argent de Louis XIV, en partage cependant l’esprit. Il est dans le goût des grandes compositions rocaille du règne de Louis XV, c’est-à-dire une rupture avec la solennité classique du XVIIe siècle se traduisant par des rythmes débridés et des compositions dissymétriques. Si ce surtout à corbeille à anses présente bien ce répertoire de formes asymétriques : coquillages, formes minérales et végétales à ligne contournée, on n’y retrouve pas l’éclat et la finesse des pièces réalisées par les maîtres orfèvres du XVIIIe siècle, tels ceux de Thomas Germain ou encore Jacques Roëttiers de la Tour que l’on peut toujours admirer au palais des rois : le Louvre.

Tout ce qui brille n’est pas… d’argent ! En effet, la technique n’est pas la même : au début du XIXe siècle, un nouveau procédé électrolytique permet de recouvrir d’une couche de métal n’importe quel objet métallique : c’est la galvanoplastie. Il y a 150 ans, les Tuileries étaient incendiées et on récupérait dans les cendres fumantes la pièce centrale du surtout de cent couverts : « La France distribuant des couronnes de gloire » ! Aujourd’hui conservé au Musée des arts décoratifs, c’est un bel exemple de métal argenté. Chère lectrice, votre surtout lui rend hommage ! Il semble émaner de la même technique, celle du bronze argenté. En France, c’est probablement Charles Christofle qui portera cette technique à son plus haut niveau. En 1830, il fonde une entreprise spécialisée dans les arts de la table qui aurait très bien pu produire ce surtout. Le vôtre correspond à ce goût nouveau qui frappe le XIXème siècle : l’éclectisme. Si l’on en croit l’architecte César Daly (1811-1894) « pour les éclectiques, le passé est un portefeuille de motifs » ; rien d’étonnant alors au fait que ces grands éditeurs puisent leur inspiration dans les arts de la rocaille. Mais c’est sous Napoléon III que la galvanoplastie s’épanouit le plus : on l’utilise tant pour les monuments publics, comme la Vierge monumentale qui couronne la Basilique Notre-Dame de la Garde à Marseille, que pour les accessoires et ustensiles des intérieurs bourgeois. Au XXème siècle, la table se vide et le surtout, passé de mode, disparaît.

Moins noble que l’argent et édité en grande quantité, on peut estimer le surtout de notre lectrice autour de 100 euros, pour ce modèle de style Rocaille inspiré du XVIIIè, mais entre 1870 et 1914. Un modèle en argent d’époque Louis XV aurait une valeur multipliée par plus de cent ! Un petit prix pour un surtout qui est peut-être recouvert d’une once de l’argent du mobilier du Roi-Soleil…
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