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Des œuvres historiques de Charles Lapicque aux enchères à Tours

Mercredi 03 novembre 2021

Le magazine des enchères, Diane Zorzi

Charles Lapicque (1898-1988), « Force huit », 1971. Huile sur toile signée, titrée et datée au dos. Haut. 89, Larg. 116 cm. Estimation : 15 000 – 20 000 euros.
Charles Lapicque (Français, 1898-1988), Rendez à César, 1958. Huile sur toile. Haut. 116, Larg. 89 cm. Estimation : 18 000 – 22 000 euros.
Charles Lapicque (Français, 1898-1988), Invitation à la Sagesse, 1961. Huile sur toile signé et datée, titrée au dos.
Haut. 97, Larg. 162 cm. Estimation : 20 000 – 30 000 euros.

Provenant de la collection d’Alain Merle, cinquante-huit toiles, sculptures, dessins et lithographies de Charles Lapicque seront dispersés aux enchères le 7 novembre à Tours, à l’occasion de la vente « arts+design » organisée par la maison Rouillac. Ces œuvres historiques embrassent l’ensemble de la production d’un artiste hors du commun qu’André Breton classait parmi les dix plus grands peintres de l’art occidental.


Seul, à bord d’une embarcation rudimentaire, un marin tente de braver la tempête. Il est emporté par les flots agités d’une mer tumultueuse, traitée à coups d’aplats de couleurs vives, fraîchement sorties du tube. Avançant contre vents et marées, le marin tente de dompter les éléments, à l’instar du peintre qui, en solitaire, engagea, sa vie durant, un corps à corps avec la couleur, pour inventer un art à contre-courant, à rebours des tendances. Baptisée « Force huit », cette toile de 1971 [photo ci-dessous] se lit volontiers comme le testament d’un artiste inclassable, hors du commun, qui devait bouleverser l’histoire de la peinture française. Elle compose, avec 57 autres toiles, sculptures, dessins et lithographies, la collection exceptionnelle d’œuvres de Charles Lapicque (1898-1988), réunies patiemment par Alain Merle, qui sera dispersée aux enchères par Aymeric et Philippe Rouillac le 7 novembre à Tours. « Peintre et musicien du vide du désert jusqu’au vacarme de la mer, ces œuvres sont les morceaux choisis d’un génie sans égal, s’enthousiasment les commissaires-priseurs. Gageons qu’elles orneront à l’avenir les murs d’amateurs éclairés qui y reconnaîtront le talent insolent d’un artiste solaire. »

Charles Lapicque, un artiste à contre-courant

Témoin des premières heures, Le 11 novembre, toile peinte en 1938, révèle les recherches autour de la couleur qui animent Charles Lapicque alors qu’il abandonne son habit d’ingénieur, pour prendre les pinceaux. Dans ce portrait de « gueule cassée », l’artiste joue de la confrontation de deux complémentaires, le bleu et le rouge. « Les couleurs complémentaires s’y trouvent opposées et réduites au statu quo par le contour, telles deux armées arrêtées par un armistice », décrit Aymeric Rouillac, rappelant qu’avant d’être artiste et ingénieur, Lapicque fut aussi un héros de guerre, promu commandeur de la Légion d’honneur.

Peintre-scientifique, Charles Lapicque met au point une nouvelle théorie des couleurs, contrariant les lois de la perspective admises depuis la Renaissance. Il y inverse le rapport au proche et au lointain qu’entretenaient jusqu’alors les teintes chaudes et froides – le bleu désormais à l’avant, et le rouge, au loin. Si ses recherches sur la couleur le conduisent, un temps, à se tourner vers l’abstraction, Charles Lapicque fait volteface et renoue avec la figuration. « A cette époque, il est exposé par la galeriste Jeanne Bucher et l’on pense qu’il va être l’un des fers de lance de la peinture abstraite française. Mais il ne veut pas “renoncer aux beautés naturelles qui s’offrent à ses yeux” et effectue ce retour vers la figuration, à la grande stupéfaction de la critique. Demeurant alors en marge des grands courants de l’époque, il est aussi proche de la “Nouvelle Figuration” que d’un mouvement baroque, décoratif, exubérant et dramatique. »

Charles Lapicque (Français, 1898-1988), Le 11 novembre, 1938.
Huile sur toile. Haut. 100, Larg. 73 cm. Estimation : 10 000 – 15 000 euros.

Les grands mythes réinterprétés par un génie de la couleur

A la faveur de séjours successifs en Italie, où il reçoit le grand prix de la Biennale de Venise, Lapicque livre en 1956 une représentation de l’église San Zaccaria, donnant à voir, sur une même toile, le haut de la façade de l’édifice, nimbé d’un ciel étoilé, et son chœur, paré de la fresque baroque de Girolamo Pellegrini (1624-1700) figurant saint Zacharie en gloire. « Il traduit dans ce tableau la mémoire du mouvement et une volonté de donner à voir des points de vue inaccessibles. Nuit noire et flambeaux rutilants de lumière, extérieur et intérieur, apparaissent simultanément dans une vision synthétique. »

La palette s’épanouit enfin en une Invitation à la sagesse (1961), dans laquelle l’artiste endosse le rôle d’admoniteur, invitant le spectateur à pénétrer au cœur d’une auguste assemblée de sages. Parmi les feuillages et soieries aux tons chamarrés, un félin s’immisce, symbole asiatique de la justice. « Dans cette série du Tigre des Ming, Lapicque démontre sa fascination picturale pour les rayures du félin. Camouflé dans cet environnement hachuré, le mouvement de l’animal se déploie par le rétrécissement de la touche. La maîtrise chromatique de l’artiste est ici à son sommet. »

Charles Lapicque (Français, 1898-1988), San Zaccaria, 1956. Huile sur toile signée et datée 56.
Haut. 130,5, Larg. 81 cm. Estimation : 20 000 – 30 000 euros.

58 chefs-d’œuvre composant un musée à la gloire de Charles Lapicque

Véritable musée, la collection d’Alain Merle embrasse l’ensemble de la production d’un artiste que le pape du surréalisme, André Breton, classait parmi les dix plus grands peintres de l’art occidental, et que les grandes institutions, du Centre Georges Pompidou au Kunsthalle de Berne, devaient célébrer dès les années 1960. « Cet ensemble s’érige en bibliothèque du geste créateur du peintre, détaillent les commissaires-priseurs Aymeric Rouillac et Jacques Farran. Que ce soient ses débuts avec Le 11 novembre (1938), sa période africaine avec Paysage dans l’Atlas Saharien (1951), ses somptueux souvenirs de voyages en Italie avec San Zaccaria (1956), le cycle du tigre des Ming avec Invitation à la Sagesse (1961) ou encore ses productions plus tardives avec Force huit (1971), chaque période ou presque est illustrée par une œuvre majeure. Les dessins, qui sont parfois le modello d’une lithographie, y trouvent une place particulière. Certaines œuvres sont même illustrées par des photographies prises dans l’atelier de l’artiste, de l’anecdotique Lion de Carthage (1962) au splendide Rendez à César (1958). »

Ces œuvres, parfaitement documentées, sont reproduites dans les ouvrages de référence sur Charles Lapicque. Certaines ont été acquises sur le marché de l’art quand d’autres demeureraient accrochées depuis l’origine aux murs de la famille de l’artiste. « Alain Merle, aujourd’hui décédé, épousa en 1982 l’une des petites-filles du peintre, précise Aymeric Rouillac. Il a déjà eu l’occasion de se défaire sporadiquement de certaines de ses œuvres, dont le célèbre Canot-but qui fut longtemps la plus haute adjudication mondiale de l’artiste au XXIe siècle [N.d.l.r. Cette toile de 1952 avait été vendue 221 000 euros en 2017 à Paris, un record détrôné en mars dernier avec le Portrait d’un tigre de 1961 adjugé 324 331 euros à Londres]. Le temps est venu pour lui de se défaire de cet ensemble. L’opportunité pour un collectionneur de se positionner sur tant d’œuvres au pedigree prestigieux est rarissime. » Estimés de 100 euros pour les lithographies, à 40 000 euros pour les toiles, ces cinquante-huit chefs-d’œuvre de Charles Lapicque seront dispersés à l’occasion de la cinquième édition de la vente « arts+design » organisée par la maison Rouillac. Ils côtoieront sous le marteau une Sieste de Mai-Thu (estimée entre 40 000 et 60 000 euros), un bronze de Baltasar Lobo (140 000 – 160 000 euros) ou encore des meubles iconiques de Jean Royère, commandés en 1934 par le docteur Alfred Bensaude, à l’occasion de son mariage, afin de meubler son appartement avenue Pierre Ier de Serbie (10 000 à 20 000 euros).
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