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Le brame graphique de La Dernière Harde

Samedi 30 octobre 2021 à 07h

Cette semaine, Angélique de Saint-Loup-sur-cher nous envoie la photographie d’un mystérieux dessin. Philippe Rouillac, notre commissaire-priseur, nous fait part de son avis.



Cette semaine l’histoire que nous raconte notre lectrice est du plus grand intérêt. L’écrivain Maurice Genevoix aurait donné à son grand-père, alors tout jeune homme, un dessin. Sans plus de renseignements sur l’auteur, elle nous indique également que son grand-père travaillait comme jardinier pour Genevoix près d’Orléans.
L’œuvre présentée par Angélique a pour support une feuille de papier rectangulaire qu’on imagine au moins aussi grande qu’une feuille A4. Un cerf poussant un brame se déploie à son milieu. Il est dessiné avec un crayon très gras, probablement un fusain. En bas à droite, on distingue la signature de l’auteur « M. Genevoix ». L’animal entièrement de profil est plutôt bien construit, mais l’amateur notera que l’absence de raccourci rend la tâche plus facile. En effet, si l’animal était de trois-quarts, des questions graphiques d’ordre tridimensionnelles se poseraient. En l’état, le cerf a très bien pu être réalisé par un bon amateur comme notre homme de lettres.

Maurice Genevoix (1890-1980) est un écrivain et poète, membre de l’Académie française, entré au Panthéon en 2020. Brillant élève de l’École normale supérieure à la rue d’Ulm, romancier de guerre de premier ordre, on l’apprécie peut-être encore davantage pour ses livres régionalistes inspirés du Val de Loire et de la Sologne. Son cycle de romans-poèmes consacré à la nature et la chasse s’articule comme un triptyque très espacé dans le temps. Il compte donc trois livres : Raboliot (1925, prix Goncourt), la Forêt perdue (1967) et La Dernière Harde.
C’est ce dernier livre, historiquement placé entre les deux autres, qui nous interpelle. En effet, La Dernière Harde raconte l’histoire d’un piqueux, un homme d’équipage qui s’occupe de la meute et d’un cerf rouge, le plus grand cervidé d’Europe. Le roman présente la relation paradoxale entre ces deux êtres, de l’admiration aux soins et de la chasse à la mort. Genevoix y déploie son génie et y décrit la lumière comme un peintre : « un rayon de soleil, dardé par une trouée de feuilles, tranchait obliquement la pénombre et se fichait raide dans la terre ». Livre poétique autant que roman cynégétique, l’auteur y raconte son amour de la nature. Il puise à la fois dans la beauté de sa région et dans son immense culture, entre régionalisme et universalisme.

Si c’est cet ouvrage qui nous parle, c’est aussi parce que les éditeurs ont pris l’habitude d’en illustrer la première de couverture par le sujet du roman : un cerf. Par ailleurs, on sait que Maurice Genevoix a fait tirer des estampes dont il est l’auteur et qui ont le même sujet.
Notre expertise doit donc nous amener aux origines de ce dessin. Sans remettre en cause la bonne foi de notre lectrice, mener l’enquête, c’est observer les faits avec objectivité : nous devons donc nous assurer que cette histoire est plausible.
Angélique nous parle d’un jardin près d’Orléans. On sait que Genevoix a plusieurs fois vécu aux Vernelles, autour de 1937 ainsi qu’à la fin de sa vie, lieu qui correspondrait parfaitement au jardin évoqué. Quant à la temporalité de ce don, Genevoix publie La Dernière Harde en 1938, date à laquelle le grand-père de notre lectrice (né en 1912) avait vingt-six ans. L’époque correspond donc également parfaitement.

Ce qui est rare est cher, mais ce qui est trop rare n’a pas de prix. Aucun dessin de Genevoix n’a été vendu aux enchères ces dernières années. Une expertise physique s’impose alors et nous aimerions voir ce dessin en personne. S’il est authentique, il vaudrait au moins plusieurs centaines d’euros, mais c’est surtout sa valeur patrimoniale et littéraire qui nous interpelle, dernier brame du poète Genevoix à travers les forêts de notre région.
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