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Très portrait !

Samedi 02 mai 2015

Une fois de plus, Aymeric Rouillac, commissaire-priseur, répond cette semaine à une demande internationale. Francis lui écrit en effet de Belgique, désireux de connaître l’estimation d’un petit portrait.

Le portrait a notamment pour but, depuis l’Antiquité, de transmettre l’image d’une personne aux générations futures. Il immortalise le modèle, en quelque sorte. Il en existe de nombreux types. Le portrait d’apparat par exemple, très politique, glorifie celui qu’il représente. Le portrait intime est quant à lui peint dans un environnement privé. Il permet de varier les poses et d’explorer des sentiments plus personnels. Pensons aussi à la caricature, qui grossit les traits physiques et caractériels du modèle dans un but humoristique. Mais ce n’est pas le cas ici.

Nous sommes face à un portrait tout ce qu’il y a de plus officiel qui nous donne des renseignements sur son commanditaire. En buste, le personnage se tient assis, de trois quarts, dans un intérieur sobre, une fenêtre s’ouvrant à l’extérieur, sur un paysage. Le tissu rouge qui recouvre la table située en face de lui et le fauteuil dans lequel il a pris place, contraste fortement avec son habit noir. Combiné à ce grand col blanc que l’on nomme rabat, aucune hésitation : c’est un ecclésiastique. À la main, il tient un livre qu’il feuillette. Si ce n’est pas une Bible, ceci a pour but de faire connaître au « spectateur » ses travaux intellectuels. Mais qui est-il donc ?

Retournons l’œuvre : une ancienne inscription à l’encre indique « Messire Sébastien Lenain de Tillemont / Prestre mort à paris /Le 10 janvier 1698 agé / de 60 ans. ». Il va de soi que n’importe qui, à n’importe quelle époque a pu écrire une telle chose. Mais, en comparant notre tableau à une gravure célèbre de ce personnage, le doute n’est plus permis. Ils’agit bien de l’abbé de Tillemont (1637-1698).

D’une famille tourangelle, ce prêtre janséniste est resté célèbre pour ses ouvrages historiques pointus, destinés aux érudits. Austère bourreau detravail, il est reconnu pour sa grande rigueur, son style clair et les nombreux détails concrets qui émaillent ses travaux. Il laisse notamment à la postérité une Histoire des empereurs (…) durant lessix premiers siècles de l'Église, ou encore la Vie de saint Louis roi de France. Ainsi, ce portrait semble bien correspondre à la qualité, la fonction et la personnalité de l’homme d’Église.

D’un point de vue stylistique il correspond parfaitement à ce qui se fait durant la seconde moitié du XVIIe siècle. Le support, qui peut paraître étonnant, est également très courant durant le Grand Siècle : une plaque de cuivre. Son usage se répand au XVIe siècle, favorisé par le développement de la gravure. Ce support lisse, que l’on peut préparer de différentes façons pour assurer une bonne adhérence de la peinture à l’huile, permet une grande précision du pinceau, et donc l’exécution de minutieux détails. Les peintures sur cuivre sont généralement de petit format, facilement transportables.Contrairement au bois ou à la toile, le cuivre, rigide et imputrescible résiste souvent mieux aux attaques du temps. Malgré tout, la préparation de la plaque doit être de qualité pour ne pas risquer de faire, à long terme, éclater lacouche picturale.

Ici, l’œuvre de notre lecteur présente un grand nombre de manques, faisant apparaître le support. Les plus dommageables pour l’œuvre - et sa valeur – sont ceux présents au niveau du visage. Le cadre, en bois sculpté et stuqué, n’est pas français. Il semble ancien mais apporte peu à l’œuvre, d’autant plus qu’il est recouvert d’une épaisse et disgracieuse couche de bronzine. Sans parler de cette pseudo couronne surmontant un dais… Beaucoup de prétention qui ne sied pas à la condition ecclésiastique ! Ainsi, pour ce petit portrait d’époque Louis XIV, agréable mais sans grande envergure, comptez 600 à 800 €.
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