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C’est en forgeant qu’on devient… un sculpteur

Samedi 23 octobre 2021 à 07h

Cette semaine, une lectrice de Cour-sur-Loire nous envoie la photographie d’une sculpture. Aymeric Rouillac, notre commissaire-priseur, nous fait part de son avis.



Incarnation de la machine en mouvement, la sidérurgie est l’âme du XIXe siècle. La révolution industrielle a vu Vulcain quitter sa forge de l’Etna pour rejoindre la France, l’Allemagne et l’Angleterre. Ces pays grands producteurs de fer et de charbon fournissent une demande toujours renouvelée de matériel militaire, rails de chemin de fer et de tous les nouveaux artefacts de la société capitaliste.

Le travail, valeur bourgeoise par excellence, rejoint alors les sujets de prédilections des arts. Si d’après Oscar Wilde, qui ne manque pas d’humour, « le travail est la plaie des classes qui boivent », contrairement aux aristocrates et aux dandies, la bourgeoisie du XIXe siècle fait travailler les autres mais travaille elle-même. Elle prône ainsi que ce labeur permet d’accéder au bonheur, lui offrant une dimension idéaliste nouvelle. Si on retrouve bien sûr dans les siècles passés des représentations artistiques des différents métiers, rarement les travailleurs de chair et d’os ont été représentés comme des héros mythologiques. Dans ce thème, une merveille conservée à l’Alte National Galerie de Berlin nous vient directement à l’esprit. La forge (cyclopes modernes) d’Adolph Menzel, transforme les ouvriers d’une usine en personnages homériques, tirant à bout de bras le métal rutilant comme si le sort de leur patrie en dépendait.

La sculpture de notre lectrice a probablement trente ans de plus que la forge de Menzel, mais elle en partage l’esprit. Sujet ronde bosse, c’est à dire qui s’apprécie à trois cent soixante degrés, le personnage masculin repose sur un socle façon marbre rouge. Debout sur un tertre, il est vêtu d’un pagne et d’un gilet sans manche qui dévoile davantage sa musculature qu’il ne la cache. L’homme regarde vers le ciel, le bras droit en l’air tenant un marteau qu’il est prêt à abattre. Le bras gauche contrebalance la verticalité, se posant nonchalamment sur la tige d’un instrument posé sur une enclume. Une trace au niveau du coude semble ici indiquer une restauration.

Nous faisons face à un forgeron, le titre inscrit sur la base le confirme : le travail. Le sujet n’est pas traité comme une allégorie des siècles passés, le travailleur semble contemporain avec sa moustache très Belle Époque.
Cette œuvre a été réalisée par Charles Ruchot (1871-1932) un artiste influencé par l’Art Nouveau et l’Art Déco, auteur de nombreuses sculptures présentant des métiers et des objets publicitaires. Il a réalisé le modèle de cette œuvre vers 1900-1920 et nous avons pu le retrouver. À l’origine, il semble que la composition était plus complexe, avec un deuxième personnage, féminin, qui venait couronner le forgeron. Le thème était alors celui de la gloire venant auréoler le travailleur, typique des valeurs que nous avons évoquées plus tôt. En général Charles Ruchot, le sculpteur de Romainville, éditait ces exemplaires en zamak, un alliage proche du bronze et du régule composé de zinc d’aluminium, de magnésium et de cuivre. Il est moins noble que le bronze mais permet d’éditer en grande quantité.

Si les différentes couleurs de patine ont un certain charme, la matière manque d’éclat et de finesse dans les modelés. Le bronze, qui est plus dur, permet de venir creuser aux ciseaux après la fonte pour sublimer les volumes.
On peut estimer la sculpture de notre lectrice, avec son accident probable, autour de 100 euros. Un modèle en bronze aurait davantage de valeur, surtout s’il s’était agit de la version à la composition complète. Un petit prix pour un sculpteur qui s’est mis martel en tête…
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