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L’hirondelle ne fait pas le printemps de l’Art Déco

Samedi 25 septembre 2021 à 07h

Cette semaine, un lecteur d’Avaray nous envoie la photographie d’une sculpture. Philippe Rouillac, notre commissaire-priseur, nous fait part de son avis.



La période Art Nouveau avait comme sujet fétiche les végétations luxuriantes. Les insectes qui y vivent se trouvent alors propulsés comme de nouveaux modèles. La période Art Déco qui s’épanouit durant les années 1920, compte parmi ses chantres des sculpteurs animaliers au talent exceptionnel. Sans pouvoir l’expliquer, la sculpture animalière redevient très à la mode. Au XIXe siècle, les sculpteurs Barye ou Frémiet, pour ne citer que les plus célèbres, ont déjà saisi la faune en mouvement, et la réduction mécanique des bronzes a permis de les rendre accessibles à une part assez large de la population. Au début du XXe siècle, les panthères de Rembrandt Bugatti, les lionnes de Roger Godchaux, les fennecs d’Édouard-Marcel Sandoz ou encore l’ours blanc de François Pompon, se côtoient avec leur grâce infinie. Leurs formes tantôt naturalistes, tantôt stylisées, donnent de la vie aux meubles rétrospectifs sur lesquels ils se couchent.
Comme toujours, les génies rares sont suivis de seconds couteaux prolifiques. C’est paradoxalement la production en masse d’artistes moins virtuoses qui ancre le style Art Déco dans l’imaginaire collectif.

Irénée Rochard est né en 1906 à Villefranche-sur-Saône. Il étudie aux Beaux-Arts de Paris entre 1924 et 1928, à l’âge d’or de l’Art Déco. Il y côtoie Pompon et Sandoz, qui vont beaucoup influencer son œuvre. Sans lui faire offense, il n’a jamais produit de chef d’œuvre permettant de le comparer aux artistes précédemment cités. Il demeure un sculpteur animalier de qualité ayant obtenu de nombreuses médailles et prix. Décédé en 1984 à Paris, il a réalisé un nombre très important de sculptures. A priori, l’œuvre présentée par notre lecteur semble de sa main. Deux volatiles, probablement en bronze, entament un ballet nuptial. Ils semblent flotter dans l’air, les pattes retenues par une branche en quart de cercle. Le tout repose sur une base rectangulaire en marbre, probablement du noir de Marquina, une carrière du nord de l’Espagne aux marbres d’un noir profond veiné de blanc.

La patine du bronze, c’est à dire la couleur obtenue par le fondeur en chauffant sa surface avec un chalumeau, tire sur le doré. En photo, elle ne semble pas avoir beaucoup d’éclat. Autre élément d’expertise, on juge sa ciselure, l’ensemble des techniques visant à imprimer sur le métal des dessins impossibles à obtenir par la seule fonte. L’artiste vient dessiner les détails à l’aide de marteaux et de ciseaux. Ainsi, les plumes stylisées des hirondelles révèlent ce travail. La ciselure, elle non plus, ne semble pas avoir été l’objet d’une exécution de première qualité.

Le point qui nous chagrine le plus est la signature de l’œuvre, on y lit clairement « R Rochard ». À notre connaissance, le sculpteur signe plutôt « I Rochard ». Compte tenu de l’enjeu financier modeste, il est peu probable qu’il s’agisse d’un faux. Aucun R. Rochard sculpteur n’apparaît dans nos registres d’artistes. L’œuvre de notre lecteur relevant tout à fait de son style habituel, il se peut que la signature d’Irénée ait évolué dans le temps. Néanmoins, sans certitude, nous devons garder une certaine prudence quant à l’attribution de ces hirondelles à l’artiste.

Quoi qu’il en soit, on retrouve ce même groupe de volatiles proposé par des marchands autour de 400 euros. Si l’œuvre est bien en bronze, et non dans un alliage moins prestigieux tel que le régule, ce prix nous semble raisonnable.
« Comme un vol (d’hirondelles) hors du charnier natal…(Elles) allaient conquérir le fabuleux métal »…
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