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Nutrisco et extinguo… et extergeo !

Samedi 18 septembre 2021 à 07h

Cette semaine, Éric, un lecteur d’Ouchamps, nous fait parvenir une photographie de ronds de serviette. Aymeric Rouillac, notre commissaire-priseur, nous fait part de son avis.



Je nourris et j’éteins… et j’essuie !

Les objets présentés par Éric sont deux cylindres forés en métal. On comprend qu’il ne peut s’agir que de ronds de serviette. Gravés au repoussé, ou ornés de motifs en applique, on distingue une frise de coquilles et un motif central couronné. Cet animal, on le reconnaît tout de suite, il orne les plafonds et les moulures de Chambord, Blois ou Fontainebleau : c’est une salamandre !

Parmi toutes les devises et tous les emblèmes des rois de France, ceux de François Ier sont peut être les plus célèbres. Pourtant la devise que l’on pense latine est incorrecte. On a donné un air de latin à une veille phrase italienne signifiant à peu près : je nourris et j’éteins. La salamandre est un amphibien qui ressemble par son aspect à un lézard. La salamandre de feu possède des couleurs noires et jaunes intenses : elles ont probablement influencé les légendes écrites sur cet animal, qui serait insensible aux effets du feu et pourrait les éteindre. Il faut donc comprendre l’emblème de François Ier d’un point de vue moral. Le roi nourrit le bon feu de la vertu et de l’amour chrétien, tandis qu’il éteint celui de l’impiété. Mais pour ce prince qui aimait autant les femmes qu’il aimait les arts, cela fait aussi référence à sa capacité à allumer les amours et à maitriser ses passions : une ode à la tempérance.

Pourtant, l’objet n’a aucune chance de dater du règne de François Ier (1515-1547). Pour cause, le rond de serviette n’apparaît en France que vers 1800, date à laquelle il se répand dans toute la bourgeoise européenne. L’histoire de la serviette de table suit celle des façons de se nourrir. On peut parler d’art de vivre à la française pour les arts de la table des XVIIIe et XIXe siècles, avec des couverts dédiés à tous les mets ou presque. Par le passé, les convives préfèrent directement plonger leurs mains dans les plats et essuyer leurs barbes mosaïquées de restes sur la nappe. Partager les agapes, partager les torchons, c’est convivial mais très éloigné de l’étiquette des salonnières des siècles suivants. La fourchette n’étant introduite en France qu’à partir du règne d’Henri III, grâce à Catherine de Médicis, on se doute que sous François Ier la notion de manger avec élégance suit des standards différents.

C’est cette codification des manières de se tenir à table, l’individualisation des couverts, le service à l’assiette - dit service à la russe - qui font émerger petit à petit la serviette individuelle. Constitutifs du trousseau du mariage, les serviettes et ronds de serviette acquièrent une grande importance au XIXe siècle. Sans expertise physique, difficile de dire si ceux d’Éric sont en argent. Dans ce cas, ils seraient poinçonnés d’un symbole de forme carrée aux angles à pans coupés. À bien y regarder, on note quelques traces de patine verte à l’intérieur. Elles ressemblent à du vert-de-gris, une corrosion typique du cuivre. Si tel est le cas, les objets de notre lecteur sont probablement en bronze, une matière riche de ce métal.

On peut estimer les ronds de serviette d’Éric à quelques dizaines d’euros s’ils sont en alliage, voire 150 euros s’ils sont en argent. Ils demeurent des supports de conversation et d’imagination puissants, le rêve pour un pique-nique amoureux à Chambord. Ils y permettront peut-être d’oublier ce que François Ier écrivait cinq cents ans plus tôt : « Souvent femme varie, bien fol est qui s’y fie » !
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