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Biographie de René Maublanc (1891-1960)

Mardi 28 septembre 2021

Normalien, philosophe, enseignant, syndicaliste, scénariste, poète, père de famille, marxiste, militant, pacifiste, résistant, chef de cabinet ministériel, communiste.


Élevé dans la bourgeoisie nantaise


Né à Nantes le 17 juillet 1891, René Maublanc est le benjamin d’une fratrie de trois garçons dont Georges Maublanc, le père, avocat et professeur de droit, appartient à la moyenne bourgeoisie républicaine et libérale nantaise. René parle d’une « famille bourgeoise, de vieille bourgeoisie provinciale : marins, négociants, magistrats, professeurs, avocats. Depuis de longues générations, personne n’a travaillé de ses mains. Tradition républicaine et socialisme utopique. Le milieu d’une province cléricale. Bleu mais rien de rouge. Mépris du sectarisme et des francs-maçons. »
Inscrit à l’école publique de la ville de Nantes, il y poursuit ses études jusqu’à l’obtention du baccalauréat à Rennes en 1908. « Éducation traditionnelle, catholique sans cléricalisme, patriotique sans chauvinisme. Instruction des humanités classiques (dont un professeur d’histoire socialiste). Peu de besoin, vit dans l’aisance. Tempérament : très pacifique et peureux. Aucune raison de m’occuper à un milieu où j’étais parfaitement heureux. Tout ce qu’il faut pour faire un bon républicain de gauche, un libéral. »

Normalien rue d’Ulm à Paris

Élève brillant, il quitte la province nantaise pour rejoindre la capitale afin d’y suivre une préparation littéraire au lycée Louis-le-Grand. La vie parisienne est un véritable choc pour ce jeune homme impatient de découvrir et d’apprendre. Il adhère très rapidement à l’exaltation culturelle qui y règne, fréquentant assidument les expositions de peintures, les musées, les conférences, les cinémas. La vie provinciale lui parait tout d’un coup très fade : « Découverte de l’étroitesse de mon milieu. D’abord découverte de camarades formés autrement que moi et aussi forts. » Son opinion se forge au fur et à mesure de l’enseignement reçu par une majorité de professeurs humanistes et socialistes, ainsi que par ses lectures « Admiration d’abord purement littéraire et sentimentale de Jaurès (à travers les Débats) ». Et aussi par la fréquentation de camarades le plus souvent protestants ou athées. « Surtout détachement total depuis mon enfance de la religion. Je ne dis pas qu’un catholique pratiquant ne puisse devenir révolutionnaire. Mais il y a plus de mal qu’un athée. Ce monde a si peu d’importance pour lui ! Cette formidable escroquerie de la promesse d’une justice éternelle qui favorise la résignation à l’injustice présente. Pour l’athée, tout se règle ici-bas. Caractère révolutionnaire du matérialisme (négation de Dieu et de l’âme immortelle). La religion opium du peuple. »
Attaché à sa Bretagne natale, il y retourne à chaque vacance d’été, séjournant dans la maison familiale construite par son père à la Birochère, près de Pornic, parmi ses cousins et cousines, y recevant ses amis et y mettant en scène des saynètes théâtralisées.

En octobre 1911, il intègre la prestigieuse École normale supérieure, rue d’Ulm à Paris où il obtient une licence ès-lettres (philosophie) en 1912 et un diplôme d’études supérieures de philosophie en 1913. A l’été 1914, il échoue à l’oral d’agrégation de philosophie. D’abord influencé par le positivisme d’Auguste Comte, puis par Émile Durkheim dont il est l’élève, René se passionne également pour la sociologie dispensée par Célestin Bouglé. C’est au cours de ses années normaliennes que René Maublanc s’intéresse peu à peu aux idées socialistes. A ce propos, il écrit : « L’école normale : part prépondérante au dilettantisme littéraire et artistique, favorisé par une vie modeste mais assurée. Pourtant influence des camarades, souvent fis d’instituteurs. Mais aussi influence des professeurs, le socialisme français : Lucien Herr, Lévy-Bruhl, Durkheim. Lecture du manifeste communiste. Connaissance approximative du mécanisme de l’économie moderne. Socialisme, mais socialisme réformiste. Confiance dans l’évolution pacifique et dans la propagande intellectuelle (le progrès des Lumières) pour améliorer la société. »

La Grande guerre, 1914-1918

Août 1914, déclenchement de la grande guerre. Ajourné en 1912, puis réformé en 1913, René Maublanc est totalement désemparé de ne pouvoir être enrôlé comme la majorité de ses camarades de promotion, en raison de sa myopie et de sa condition physique rachitique. En ces premiers mois de combat, il est un jeune homme chauviniste et jusqu’auboutiste. Bouillonnant de pouvoir servir aussi son pays, sa patrie, il se porte alors comme volontaire auprès d’organismes parisiens dans le soutien des familles de poilus. Recevant régulièrement des nouvelles de ses meilleurs amis et camarades de promotion partis sur le front, René assiste impuissant, jour après jour, à l’hécatombe humaine de cette guerre qui dure bien plus longtemps qu’annoncée. La guerre emporte ses amis intimes tels que Marcel Étévé, Pierre Garreta, André Durkheim… Sur cinquante élèves de sa promo, 18 sont tués au combat. C’est un véritable traumatisme ! Son opinion belliqueuse laisse place peu à peu à une volonté de faire la paix, en raison de : « la guerre vue de l’arrière, la mort des amis, la censure et l’impossibilité de dire ce qu’on pense, les affaires, la lâcheté, la sottise »


Toutefois, il désire pouvoir être utile à l’effort de guerre. Ainsi à l’aide de l’appui de ses amis-protecteurs normaliens, Paul Dupuy, Lucien Herr et Célestin Bouglé, René obtient en 1915 un poste de délégué enseignant, au collège d’Epernay dans la Marne, en pleine zone des armées et à deux pas du front. Enseignant pour la première fois la philosophie et autres matières à des jeunes élèves vivant au quotidien sous les bombardements de leur ville, René se découvre un talent de pédagogue et une fonction salutaire qui lui redonne espoir de croire en l’avenir : « J’ai depuis le début de la guerre, passé trois ans à m’enfoncer dans le passé – de plus en plus profondément, de plus en plus désespérément. Les causes ? D’abord la guerre elle-même, et la brusque cassure de tout ce qui avait été mon bonheur – de quoi parler aux amis absents, sinon de l’ancienne vie commune ? – puis la série des blessures (…) l’atteinte redoublée aux deux sentiments qui font le prix de l’existence : l’amitié et l’amour (…) Et j’allais de crise en crise, et j’avais toujours plus de mal à bander mon énergie contre le découragement ; et ma ferveur presque mystique pour les trois êtres chers que j’ai perdus, et de qui je faisais dépendre tout ce dont je m’étais cru capable, sapait toujours plus profondément ma confiance en moi (…) Je vivais alors dans le continuel frôlement de fantômes à la fois terrifiants et chéris, et je ne cherchais pas à me dérober (…) Je suis sorti de là. Je le dois en grande partie à celui que j’ai choisi pour remplacer les morts (…) Je lui racontais mes amis pour qu’il put les imiter et je lui racontais le passé pour qu’il pût nous connaître. Et, comme je l’aimais très fort, je ne lui cachais rien de mon âme, et de mes peines. Lui, il avait, 14, 15 et 16 ans : il pouvait me comprendre, il ne pouvait pas assez réagir (…) à vivre avec des enfants, à les voir se former, à les aider à se former, comment n’aurait-on pas les regards fixés vers l’avenir ?... »

René Maublanc se comporte en professeur paternaliste et se lie d’amitié avec une partie de ses élèves, ses nouveaux « amis » avec qui il conservera un lien fort tout au long de sa vie.
Secrétaire départemental de la ligue des droits de l’homme à Epernay, il y prononce à 26 ans en 1917 un discours sur les propositions de paix de Wilson. En cette même année, la Révolution russe éclate et interpelle notre jeune professeur socialiste « révolutionnaire » : « La guerre m’a confirmé dans mon opinion, mais c’est la Révolution d’Octobre qui m’a prouvé définitivement que je ne me trompais pas. Elle n’a pas eu à changer mon attitude, elle l’a rendue inébranlable. Jusqu’en 1917 la société communiste avait la faiblesse de ne pas exister sinon comme un idéal, et à ceux qui affirmaient qu’elle était irréalisable, on ne pouvait répondre que par un acte de foi ou par les probabilités hasardeuses du raisonnement. La Russie soviétique a apporté la preuve par le fait qu’elle a démontré la possibilité du socialisme en le réalisant, elle est en train de démontrer sa supériorité sur le capitalisme et la démonstration est si aveuglante qu’elle commence à pénétrer les cerveaux les plus obtus. J’ai essayé, depuis 1917, par la parole et par l’écrit de faire connaître et de défendre la Russie soviétique… »

Professeur de philosophie et militant engagé

Après avoir échoué de justesse en juillet 1914 les épreuves de l’agrégation de philosophie, René Maublanc repasse l’épreuve en juillet 1919 qu’il obtient brillamment. Commence alors véritablement sa carrière d’enseignant philosophe, ce professeur qui va marquer tant de générations de jeunes étudiants de son empreinte humaine et si atypique.

A la rentrée de l’automne 1919, René est affecté comme professeur de philosophie au lycée des garçons de Bar-le-Duc. Son activisme politique lui vaut de n’y rester qu’une seule année. Militant socialiste, il reçoit un blâme pour être intervenu dans la campagne électorale du ministre André Maginot : en pleine réunion publique, il annonce de vive voix qu’il votera pour le candidat communiste. Syndicaliste enseignant, il est élu au conseil académique de Nancy pour les lycées. En mai-juin 1920, au cours de deux réunions pour le droit syndical des fonctionnaires qu’il préside, il fait des allusions rapides à une adhésion à la CGT. Enfin, il contribue à la cagnotte solidaire pour aider les cheminots en grève. Devant cet activisme « révolutionnaire », le préfet demande sa mutation à la rentrée suivante.
Au cours de cette année dans la Meuse, Maublanc noue une amitié durable avec André Cuisenier, archicube, enseignant au lycée et disciple de Jules Romains, qui lui fait découvrir l’unanimisme et lui sert d’entremetteur auprès de l’écrivain.

Le 21 août 1920, René Maublanc est nommé professeur de philosophie suppléant au lycée d’Alger pour l’année scolaire 1920-1921. Auparavant il avait entamé des démarches qui n’aboutirent pas, pour être affecté à l’institut de Barcelone ou être candidat de thèse à la fondation Thiers. Ce dépaysement le subjugue et y découvre les charmes de l’Orient mais aussi les méfaits de la colonisation. En contact avec le communiste et conseiller général André Julien, il participe à des causeries pour les Jeunesses socialistes communistes, au cours desquelles il invite « à réfléchir sur les liens entre la pensée socialiste et la politique de Lénine », n’appelant pas « à l’action mais à la réflexion. » Il rapporte de son séjour en Algérie la matière de deux livres pour enfants qui parurent aux éditions Larousse : Derradji, fils du Désert en 1927 et Yvonne au pays de Derradji en 1929. Aux idées non conformistes et anticolonialistes, il y promeut le rapprochement entre les deux peuples comme le de mariage mixte.

Après son séjour en Algérie où il aurait bien aimé poursuivre l’enseignement, René Maublanc est nommé professeur de philosophie au lycée de Reims pour l’année scolaire 1921-1922. Ce passage dans la capitale champenoise est marqué par trois rencontres majeures : féru de poésie, il fait la connaissance des frères Druart, Henri et René, animateurs du cercle littéraire Chevigné, avec lesquels il participe à la fondation de la revue de poésie rémoise Le Pampre, et prend plaisir à leur fait découvrir la pratique du poème japonais, le haïkaï. René Maublanc joue l’un des premiers rôles durant les années 20 pour vulgariser le haïkaï français par ses nombreux articles et conférences.

Au sein du lycée, René Maublanc découvre un journal littéraire, Apollo, créé par deux élèves de seconde, Roger Lecomte et Roger Vailland. Il repère immédiatement le génie créatif et le non-conformisme de ses deux adolescents. Épris d’amitié, il les conseille et les pousse à écrire des poèmes. Enfin, son activisme militant et politique est toujours de mise. Membre du parti socialiste depuis Bar-le-Duc, René Maublanc prend sa carte d’adhérent à l’international communiste et également au syndicat de la C.G.T. Le proviseur note dans son appréciation « une tendance à se mêler aux agitations de la vie politique ». Dans L’Eclaireur de l’Est, le 16 février 1922, il publie, sous le titre « Liberté » une lettre prenant la défense de ceux qui se montrent solidaires avec les « Russes affamés » à propos d’une pièce de théâtre La Passante. Président de l’amicale des professeurs, il incite ses collègues à agir contre la circulaire du 27 juillet 1922 les plaçant sous la surveillance des préfets.

Roger Lecomte, Roger Vailland, Lemoine et Meyrat au lycée de Reims, 1922.

Ayant fait sa nouvelle rentrée au lycée de Reims le 1er octobre 1922, il publie à nouveau dans L’Eclaireur de l’Est, le 27 octobre 1922, une lettre rapportant trois ordres du jour proposés au vote de ses collègues du lycée dont un sur la liberté d’opinion des fonctionnaires. Remontrance immédiate du recteur de l’académie de Paris lui reprochant d’avoir porté devant l’opinion publique des questions d’ordre interne. Il lui décerne officiellement un blâme. Dans le même temps, la police souligne ses contacts avec les communistes locaux. Ne tolérant pas cet obscurantisme, Maublanc prend la décision de se mettre en congé d’inactivité dès le 1er novembre 1922 et s’en retourne à Paris. Un congé de l’enseignement qui durera jusqu’au printemps 1927.

Mis en congé de l’enseignement, René Maublanc obtient le poste de secrétaire-archiviste du Centre de documentation sociale à l’Ecole Normale supérieure (fondation Albert Kahn) à l’automne 1922, et ce jusqu’en juillet 1925. Il remplace ainsi Marcel Déat qui obtient le poste de remplacement de Maublanc au lycée de Reims. Ce centre fut créé sur l’initiative de Célestin Bouglé son directeur afin d’y rassembler une bibliothèque sur les problèmes sociaux et les théories socialistes. C’est ainsi que l’exécuteur testamentaire de Victor Considérant, disciple de Charles Fourier, y dépose les archives de Charles Fourier.

Maublanc allie ainsi l’utile à l’agréable. Retrouvant l’Ecole normale supérieure, qu’il a bien connu avant la Grande Guerre, il occupe une fonction rémunératrice tout en lui laissant le temps nécessaire à remplir d’autres occupations littéraires et même scientifiques.
Ainsi il coécrit plusieurs oeuvres avec Paul-Louis Couchoud, connu à Epernay en 1917 : traductions grecques, pièces de théâtre et romans cinégraphiques. Leur coproduction débute par la publication en 1919 de Cent épigrammes grecques édité chez Payot et illustré par Antoine Bourdelle. Ils poursuivent par l’écriture de 5 comédies pour le théâtre ou le cinéma : Les Rajeunis, Montparnasse, Eglantine ou le Pont des Arts, La Crise et Le Politique Malgré Lui. Leur plus grand succès est Le sérum du Docteur Legrand, un roman-ciné qui fut publié dans le journal L’Humanité entre le 24 novembre 1923 et le 10 janvier 1924. En 1943 paraît leur dernière coproduction : Pensées d’Euripide. Tous deux sont également férus de poèmes japonais : le haï kaï.

De retour d’Algérie à l’été 1921, René Maublanc rencontre pour la première fois Jules Romains. Leur premier sujet de conversation fut l’expérience menée par Romains sur la vision extra-rétinienne. A partir de ce jour, René Maublanc fait partie du cercle intime de l’écrivain et collabore à ses travaux scientifiques, littéraires et artistiques. Il publie de nombreux articles afin de promouvoir les oeuvres de l’écrivain-artiste.
Toujours grâce à André Cuisenier, René Maublanc, adepte de musique baroque, intègre le cercle d’Albert Doyen, le père fondateur des « Fêtes du Peuple », et fait la connaissance de la famille Gallouen de Rouen, sa future belle-famille.
Dès sa prise de fonction dans l’enseignement, René Maublanc s’intéresse aux mouvements syndicaux qui se mettent en place au lendemain de la première guerre mondiale et adhère à la C.G.T. Il s’inscrit également dans les syndicats de fonctionnaire et de professorat. De l’automne 1925 jusqu’au début de 1927, il occupe la place de secrétaire à la fédération nationale des syndicats des fonctionnaires. A la fin de février 1927 il quitte la fédération et remplace au pied levé Lucy Soto comme enseignant philosophe au lycée Fénelon. « J’ai là pendant 16 heures par semaine en 6 classes différentes quelque 200 jeunes filles de 14 à 18 ans »

Le 1er octobre 1927, René Maublanc, bien que professeur agrégé de l’Etat, est détaché à la réputée École alsacienne, rue Notre-Dame des Champs à Paris, pour y enseigner la philosophie, les mathématiques élémentaires et la littérature. Il accepte d’intégrer cet établissement pour deux raisons : il peut rester à Paris et l’école se trouve à deux pas de son domicile de l’époque ; cette institution privée est laïque aux origines protestantes, sous contrat avec l’Etat, qui suit le programme des lycées publics et qui a la singularité d’être une école mixte.

A 38 ans, René Maublanc se marie en juillet 1929 avec Yanic, âgée seulement de 20 ans, fille cadette de Maurice et d’Odette Gallouen. En 1931 naissent des jumelles, Marie et Céline.
Membre de la fédération unitaire de l’enseignement, René Maublanc participe à la grève du 12 février 1934. Cette attitude ne convenant pas à la direction de l’École alsacienne, le conseil d’administration ne renouvelle pas son contrat pour la rentrée d’octobre 1934 et Maublanc doit réintégrer l’enseignement public.
A la rentrée scolaire de 1934, il n’a pu trouver un poste d’agrégé à Paris et est alors nommé professeur de philosophie au lycée Félix Faure à Beauvais. Il y enseigne durant les années scolaires 1934-1935 et 1935-1936. Il dispense également des cours de philosophie à l’école normale d’instituteurs et d’institutrices de l’Oise.

Marxiste, antifasciste et pacifiste

Admirateur de la Révolution d’octobre, le jeune philosophe étudie dès les années 1920 le marxisme. Sa doctrine évolue « Comment j’ai très longtemps cru rester fidèle à l’enseignement de Hegel, Durkheim, Comte. J’ai amené à étudier Marx et j’ai découvert que j’étais marxiste. J’ai découvert aussi que le marxisme était indignement travesti et méconnu » « Abandon raisonné du réformisme : le réformisme devant la raison (Auguste Comte) et devant l’histoire (trucage de l’histoire). Les hommes sont esclaves des institutions et victimes de l’ignorance. Une porte de sortie : l’amélioration de l’instruction, le mirage de l’école unique. L’école unique n’évite pas la révolution, elle en est la conséquence. » « La crise économique de 1929 : L’exploitation de l’homme par l’homme n’est plus nécessaire, elle ne survit que par la force absurde de la tradition. Le fascisme, agonie violente du capitalisme. La force contre la force. Espoir que la révolution russe permettra d’adoucir les révolutions ultérieures. La force de l’évidence d’une réalité viable et meilleure que la nôtre. »

Vers 1927-1928, René Maublanc fait partie du petit groupe de professeurs et de savants qui se donna pour tâche de faire connaître et diffuser le marxisme. Il est un des animateurs du « Cercle de la Russie neuve » (puis de l’Association pour l’étude de la culture soviétique) où se retrouvent Paul Langevin, Henri Wallon, Marcel Prenant, Georges Cogniot et Jean Baby. Avec le même groupe, René Maublanc anime l’université ouvrière fondée en 1932 ; il y défend l’idée du caractère scientifique du marxisme. Il donne une contribution aux Cahiers de contre-enseignement prolétarien, « La philosophie du marxisme et l’enseignement officiel » (n° 19, juillet 1935), écrit des articles dans l’Humanité et dans les Cahiers du bolchevisme. A la veille de la guerre, il se retrouve aux séances du groupe d’études marxistes qui se tiennent dans le bureau de Paul Langevin, rue Vauquelin. Plusieurs de ses cours sur « la liberté », sur « la société et les classes » et sur « la dialectique » sont publiés dans le Cours de marxisme, édité par le bureau d’éditions. Il publie dans la collection « Socialisme et Culture », en collaboration avec Félix Armand, un choix de textes de Charles Fourier, précédé d’une large introduction ; il livre dans ce livre sa compréhension du socialisme utopique, sa vieille admiration pour Fourier ; il compare notamment certaines intuitions « phalanstériennes » avec la réalité soviétique.

Au lendemain de la crise du 6 février 1934, René Maublanc s’engage dans le mouvement antifasciste ; il adhère à l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires (AEAR) et écrit dans la revue Commune. Il milite au Comité de vigilance des intellectuels antifascistes, et est de ceux qui préconisent, notamment après mars 1936, la fermeté face aux revendications des gouvernements fascistes ; il critique avec constance, en 1935 et 1936, les thèses des partisans des « concessions » et s’élève contre la méconnaissance de la nature du nazisme qui prévaut au sein du comité (l’hitlérisme comme « produit du traité de Versailles »). Il polémique « courtoisement » à ce sujet avec Jules Romains dans Commune (avril 1935).

Dans Le Pacifisme et les intellectuels, pamphlet (achevé en juin 1936 et paru sous l’égide du comité mondial contre la guerre et le fascisme), René Maublanc attaque durement les « pacifistes » du CVIA, notamment les pacifistes « intégraux » comme le philosophe Alain. Après le congrès de juin 1936 Maublanc quitte les organismes dirigeants du CVIA, comme Paul Langevin et ses amis communistes ou communisants. Il continue à dénoncer le pacifisme intégral et le manque de fermeté à l’égard de l’Allemagne hitlérienne dans Paix et liberté, organe du Comité national contre la guerre et le fascisme et dans la revue Clarté.

Gréviste le 30 novembre 1938, après l’accord de Munich, René Maublanc dénonce dans Commune (juin 1939) et dans Inquisitions (juillet 1939) l’esprit de « capitulation devant le fascisme ». Il attaque à plusieurs reprises la politique de Georges Bonnet en mars-avril 1939 dans des réunions du Rassemblement universel de la paix et devient secrétaire général de l’Union des intellectuels français pour la justice, la liberté et la paix présidé par Langevin.
René Maublanc se définit (dans Commune, en janvier-février 1934) comme un bourgeois révolutionnaire allié du prolétariat, convaincu de la nécessité de la révolution prolétarienne. En 1940, sympathisant mais non membre du Parti communiste, il témoigne avec Paul Langevin, Jean-Richard Bloch et H. Wallon devant le tribunal militaire en faveur des quarante-quatre députés communistes poursuivis par le gouvernement Daladier (29 mars). « Comme moraliste — déclare-t-il — j’ai la plus grande admiration pour leur personne ; comme philosophe, j’ai une admiration profonde pour la doctrine marxiste. »

Après deux années éloignées de Paris, René Maublanc obtient enfin la nomination la plus prestigieuse de sa carrière, intégrant à l’automne 1936 le « must » des lycées parisiens, Henri IV. Il y enseigne comme professeur de philosophie jusqu’à la fin de sa carrière en 1956.
Au lendemain de la débâcle de 1940 et après avoir mis à l’abri sa famille dans la propriété familiale en Normandie, René Maublanc regagne Paris à la fin de septembre 1940 et réoccupe son poste de professeur de philosophie au lycée Henri.

Résistant de l’ombre, 1940-1945

Dès le mois d’octobre 1940, Maublanc participe aux premières réunions clandestines des universitaires auxquelles assistent notamment Jean-Richard Bloch, Joliot-Curie, Henri Wallon, noyau du futur Front national universitaire.
En novembre 1940, Jacques Solomon, Georges Pulitzer et Jacques Decour créent un journal clandestin, l’Université Libre. Et en mars 1941, sous le titre La Pensée Libre, ils font reparaître La Pensée, qui avait été fondée en 1939. Dès la parution du premier numéro de l’Université Libre, René Maublanc est associé à la fondation du journal et fournit régulièrement des articles et des documents jusqu’à l’automne 1942. Maublanc ne cesse d’y appeler les universitaires et les étudiants à l’action.

Au sein même de ses propres classes du lycée Henri IV, Maublanc commente l’actualité à sa façon auprès de ses élèves, ce qui lui est très vite reproché par sa hiérarchie. Le 13 janvier 1941, il est convoqué par le recteur d’académie « saisi des plaintes concernant les allusions directes que vous vous seriez permises devant votre classe aux questions politiques de l’heure », et reçoit un blâme. Cet incident est repris dans le numéro du 15 novembre 1941 du journal collaborationniste Je suis partout sous le titre « La terreur blanche » y dénonçant le propagandiste marxiste bénéficiant jusqu’ici de la bienveillance des autorités.

En février 1942 Solomon, Politzer, Decour et leur équipe sont arrêtés. En vue de la rentrée scolaire d’octobre 1942, Maublanc est déchu de son poste au lycée Henri IV et est nommé au lycée Marcelin Berthelot à Saint-Maur. N’acceptant pas cette nomination disciplinaire et se sentant de plus en plus surveillé et menacé par la Gestapo, René Maublanc prend les devants. Il envoie au rectorat une demande de congés pour raison de santé de 3 trois mois et décide de quitter Paris au cours du mois de septembre 1942. Il entre ainsi dans la clandestinité. Il trouve refuge dans la villa de l’un de ses anciens élèves, Pierre de Palma, dans la commune de Chevreuse. Convoqué à une contre-visite médicale par sa hiérarchie et ne s’y étant pas présenté, le ministre à l’Education nationale le suspend dès le 24 octobre de ses fonctions d’enseignant en raison de son abandon de poste.

Après quelques semaines d’isolement, Maublanc prend le risque de sortir de sa clandestinité et de renouer le contact avec le réseau du F.N.U. et avec l’équipe de l’Université Libre. Désormais connu sous le nom de code de « Jean Lenoir », Maublanc s’implique de plus en plus dans l’édition de l’Université Libre et en devient le rédacteur en chef en octobre 1943, et ce jusqu’à la fin août 1944, sous la direction de Pierre Villon.

Le 20 août 1944, la résistance a entamé à Paris la phase d’insurrection contre les autorités d’occupation allemande et vichyste. Robert Folliot, chef de bureau au ministère de l’Education nationale rue de Grenelle, raconte dans les témoignages du comité de la résistance le déroulé de cette journée : « (…) Nous décidâmes de nous rendre rue de Grenelle où nous retrouvions tous nos camarades de l’Enseignement. Quelques éléments actifs des FFI et FTP (…) Une occupation du ministère dense (…) Je fis la connaissance de Lablénie qui me dit qu’il y avait lieu de téléphoner à M. Wallon pour lui annoncer l’occupation du ministère où la résistance universitaire unie attendait sa venue. Lablénie donna ce coup de téléphone pendant que je donnais quelques instructions concernant la fermeture absolue des portes d’accès (…) Bientôt M. Wallon se présentait à la porte (…) Lablénie demanda au Ministre de prononcer quelques mots devant la plaque apposée à la mémoire des morts du Ministère pendant les deux guerres. (…) Le premier geste de M. Wallon en entrant dans le cabinet de Bonnard, fut de donner l’ordre à Sorba de décrocher un imposant portrait de Pétain. La désinfection commençait. Puis M. Wallon me dictait ses premières décisions qui étaient l’exacte mise à exécution des propositions que je lui avais remises au nom du Comité de résistance du Ministère ; ce furent les fameux arrêtés du 20 août 1944 prononçant les mesures de suspension à l’égard de ceux dont l’attitude vichyssoise s’était particulièrement manifestée. Puis le ministre dicta les arrêtés concernant les premières mesures dans la mise en place de fonctionnaires sûrs à des postes importants de la hiérarchie administrative. (…) Pendant que nous mettions au point les premières décisions ministérielles, René Maublanc arrivant dans le cabinet de M. Wallon dont il devait être le chef de Cabinet. Quelle ne fut pas notre commune surprise de nous retrouver tous les deux, anciens condisciples à Louis Le Grand après tant d’années de séparation. Affectueuses retrouvailles qui firent dire à M. Wallon « Nous voici en famille ». L’ordonnance du 4 septembre 1944 signifiant la composition du nouveau gouvernement provisoire de la République française présidé par le général de Gaulle, nomma René Capitant, ministre de l’Education nationale. René Maublanc quitta définitivement ses fonctions de chef de cabinet le 11 septembre 1944.

Membre du comité du Front national universitaire, il participe à la reconstitution du Syndicat unique du second degré lors de plusieurs réunions clandestines. Il souhaite une entente entre syndicats et FNU pour les réformes de l’enseignement dans un article de L’Université libre, le 20 octobre 1944 intitulé « Front national et syndicats ».

Ce fut pendant cette période de guerre que René Maublanc adhère au Parti communiste. Il donne les raisons de son adhésion : « Amené par le progrès de ma réflexion, en même temps que par les événements politiques et sociaux, à prendre position de plus en plus nettement aux côtés des militants du Parti communiste, je me suis reconnu comme une obligation de conscience d’affirmer avec eux une totale solidarité en devenant membre du Parti en 1943. Je suis sûr de ne pas m’être trompé en jugeant alors que là était ma place, la place où je peux me rendre utile, la place aussi où je puis m’enrichir d’une expérience de la vie que mon métier ne m’avait jamais donnée. »

Le rédacteur en chef de La Pensée

Après la Libération, René Maublanc retrouve son poste au lycée Henri IV. Il s’attelle à la reconstruction spirituelle de la jeunesse. Engagé dans la défense de l’école laïque et républicaine, il publie entre octobre 1944 et juillet 1945, sept articles regroupés dans L’Esquisse d’une morale républicaine. Il veut aider les enfants à retrouver des règles de conduite et de pensée que la guerre a ébranlées. Membre du comité de rédaction de l’École laïque (1946-1948), il milite également à l’Union française universitaire qui avait succédé au Front national universitaire, à l’Union rationaliste et consacra une large fraction de son temps à la revue La Pensée dont il devient le secrétaire de rédaction bénévole. La Pensée, « revue du rationalisme moderne » fut pour lui, comme pour d’autres philosophes et savants marxistes, un lieu d’expression privilégié, un lieu où se retrouvent tous ceux qui voyaient dans le matérialisme dialectique la forme la plus avancée du courant issu de Descartes et qui s’épanouit avec les Encyclopédistes.

Membre du comité de direction de la revue Europe, enseignant à l’Université nouvelle, membre de France-URSS, membre de l’Union rationaliste et de la Ligue de l’enseignement, Maublanc n’adhère pas à la politique culturelle du Parti dans les années 1948-1953 et est intimement anti jdanovien. A la fin de 1948, il obtient une autorisation d’absence pour aller faire une conférence à Prague sur la philosophie française et le rationalisme. Il participe à la constitution du « Mouvement des 150 » pour la paix en 1951 au Musée social. Il répond aux invitations d’organisations étudiantes pour des conférences aux sujets variés. Apparaissant peu dans l’activité publique du PCF, Maublanc est candidat en novembre 1946, sur la liste communiste pour être grand électeur dans le VIe arrondissement pour les élections au Conseil de la République. Malgré certaines attaques de l’Humanité et des Cahiers du communisme contre La Pensée, il demeure un militant fidèle. La police l’arrête lors de la manifestation du 23 mai 1952 et le relâche trois jours après.
Il décède d’une crise cardiaque à Paris le 20 janvier 1960. Ses obsèques se déroulent aux Authieux-sur-le-port-Saint-Ouen en Seine-Maritime.

Extrait de la lettre-témoignage de Jacques DUCLOS, secrétaire du comité central du Parti Communiste : « 21 janvier 1960 (…) René Maublanc, notre camarade si cher, l’un des premiers parmi les intellectuels français a compris que la classe ouvrière seule, dans son combat, pouvait sauvegarder l’héritage de la culture nationale et porter plus loin et plus haut cette culture. Nous n’oublions pas qu’il fut l’un des fondateurs du « Cercle de la Russie neuve » apercevant avec lucidité tout ce que la construction du socialisme apporterait au progrès de la science, de la technique, de la pensée. Inflexible dans le combat il apportait son témoignage de patriote irréprochable et de professeur de philosophie, au procès des 28 députés communistes, choisissant avec eux le chemin de l’honneur. Fidèle à la morale qu’il a enseigné tant d’années, il fut, sous l’occupation allemande, avec Politzer, Solomon, Decour, l’un des animateurs de la résistance universitaire. A la direction de la revue « La Pensée » il constituait le lien vivant entre les meilleures traditions du rationalisme français et la pensée marxiste. Mais au-delà de ses mérites d’homme de culture, de citoyen, de militant, permettez-nous, madame, d’évoquer l’affectueuse amitié qui le liait à nous, la chaleur humaine, le rayonnement de sa personne, qui nous faisait deviner quel époux et quel père il était dans sa vie privée… »

René Maublanc a formé des générations de jeunes philosophes, « des esprits libres qui sachent utiliser leur raison pour penser et agir sainement comme il le faisait lui-même, hors de tous les préjugés et de tous les dogmatismes », se souvient Paul Laberenne. Il aimait les enfants et préférait leur compagnie à celle de leurs parents. Et les enfants le lui rendaient bien. Tous ont conservé un souvenir impérissable. Comme le souligne Lucy Prenant : « il faisait sauter tous les poncifs, tous les formalismes ; il déscolarisait ce qu’il enseignait et qui devenait problèmes humaines, vivants, vis-à-vis desquels chacun sentait qu’il avait à s’engager… »
Sources : archives René Maublanc ; http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/spip.php?article121125, notice MAUBLANC René, Léon, Gustave par Nicole Racine, version mise en ligne le 30 novembre 2010, dernière modification le 1er janvier 2014 ; René Maublanc, le haïku des années folles, par Dominique Chipot, Ed. Unicité, 2016.
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