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Et pour quelques prunus de plus…

Samedi 11 septembre 2021 à 07h

Cette semaine, Pascale nous fait parvenir la photographie d’un vase boule en verre. Philippe Rouillac, notre commissaire-priseur, partage son avis.



Dans la trilogie des maîtres verriers Art Nouveau que l’on rencontre le plus fréquemment aux enchères, Legras partage l’affiche avec Gallé et Daum. Malheureusement, il n’y a ici pas de duel… : on lui préférera de beaucoup ses prolifiques contemporains.
Le vase de Pascale prend la forme d’une boule légèrement ovoïde à la lèvre recourbée. Il est fait de verre multicouche, ou overlay, le fond translucide et les motifs en émaux rouges nuancés figurant des branches de cerisier en fleur.
Le caractère givré du fond est obtenu par une technique parfaitement maitrisée. Il s’agit de déposer une couche de colle forte sur un verre sablé. Lors du séchage, la surface va craqueler en fines lamelles qui donneront cet aspect. Souvent appelées à tort « pâtes de verres », ces productions sont en réalité obtenues par gravure à l’acide dans une matière constituée de plusieurs couches bicolores. Le motif en couleur correspond à la couche superficielle qui est épargnée du fond.

Pour sa part, la pâte de verre est portée au firmament par l’artiste Henry Cros (1840-1907). Il met au point un procédé de moulage hérité de l’Antiquité, très rare et virtuose. L’abus de langage, lui, est fréquent.
Le prunus est un genre de plante à fleurs regroupant cerisier, pêcher, prunier et de nombreux arbres cultivés pour leurs fruits. Le traitement à la fois botanique et japonisant du sujet de ce vase subit une double influence. François-Théodore Legras (1839-1916) est un artiste des Vosges qui devient à vingt-sept ans directeur de la Cristallerie de Saint-Denis et directeur de Legras et Cie. Lorsqu’il participe à l’Exposition Universelle de Paris en 1900, il apparaît comme un suiveur d’Émile Gallé (1846-1904). Son mentor, passionné de botanique et collectionneur d’herbier, a ouvert la voie à une étude détaillée de la nature. Ne se limitant pas à une représentation servile, son œuvre est mêlée de poésie : celle de Verlaine, de Baudelaire, mais aussi du Japon, très à la mode à l’époque. Si Legras n’a jamais mis les pieds au pays du soleil levant, son vase nous évoque le Hanami, un rituel japonais consistant à apprécier la beauté des fleurs, et notamment celles des cerisiers en pleine floraison.

Le vase de Pascale est attribuable à Legras grâce à sa signature en relief. De « Leg » peint à « LegraS » gravé, il est parfois possible de dater un exemplaire uniquement grâce à ces marques… on en connaît au moins vingt-huit différentes ! Avec son coup de fouet dans la boucle du « G » et la fin du « S », notre signature correspond parfaitement à celles référencées. On peut même situer ce modèle durant la période d’activité de François-Théodore, son neveu et successeur, Charles Legras étant plus enclin à des productions inspirées de l’Art Déco.

On préférera ce style typiquement Art Nouveau, au vases cornets aux motifs peints un peu kitsch. S’il est en bon état, ce qui est primordial pour une œuvre en verre, on peut estimer ce vase a priori haut d’une vingtaine de centimètres entre 200 et 300 euros. S’il est boudé par les amateurs, on doit reconnaître qu’à la différence de Gallé ou Daum, l’artiste n’a pas produit d’œuvre magistrale. On note toutefois un record du monde à 3.000 euros pour un exemplaire d’une soixantaine de centimètres réalisé pour l’Exposition Universelle de Paris en 1900. De la même manière que les maîtres verriers Art Nouveau ne se valent pas, il y a Legras et Legras !
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