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Les beautés simples de l’été

Samedi 31 juillet 2021 à 07h

Cette semaine, Jacques un lecteur de Morée, nous fait parvenir la photographie d’un tableau retrouvé dans un grenier. Aymeric Rouillac, commissaire-priseur, partage son avis.



C’est en 1668 que Félibien, l’un des plus grands historiens et théoriciens de l’art français, propose une hiérarchie des genres picturaux. Au premier rang, il y place la peinture d’histoire, au dernier, la nature morte. Toutefois, parmi les natures mortes il distingue la peinture de fleurs, réputée particulièrement difficile techniquement. Au XIXe siècle puis au XXe les « avant-gardes artistiques » se sont jouées de ces hiérarchies pour les faire disparaître aujourd’hui presque complètement. Le tableau de Jacques date de cette époque de remise en cause et représente ainsi une nature morte au bouquet de fleurs !

Peinte sur une toile tendue, mesurant probablement plus de cinquante centimètres de long, le bouquet jaillit d’un vase à anses qui semble être en étain. Ce récipient est posé sur une table dont on n’aperçoit uniquement le plateau. Le meuble est placé en partie gauche laissant la partie inférieure droite du tableau vide. C’est là que l’artiste pose sa signature. Le fond est plutôt neutre, en petits aplats de peinture beige brossés. Le bouquet savamment désaxé vers la droite dynamise la composition. C’est la lumière et la couleur de ses fleurs qui illuminent l’œuvre. On y distingue trois principaux types de végétaux.

À l’époque de Félibien, les artistes connaissent très bien les significations de chaque variété. Elles constituent le langage des fleurs. Nous pouvons expliquer la symbolique de celles représentées sur la toile de Jacques, mais il faut savoir qu’à l’époque de sa réalisation, cette dimension symbolique est plus hypothétique.

Les fleurs rouges, les plus nombreuses, sont des gerberas. Originaires de l’hémisphère Sud, elles expriment l’émerveillement et la joie. Les longs pétales jaunes des hélianthes du bouquet ressemblent beaucoup à des fleurs de topinambour. Cette cousine du tournesol est au même titre que les gerberas une fleur de soleil, qui est synonyme d’apparences trompeuses. Ces variétés sont entourées de tiges de fougère, qui signifie pour sa part la confiance et la sincérité. Plus que leurs significations contradictoires c’est donc plutôt leur saison de floraison qui relie les variétés entre elles et nous situe au cœur de l’été.

Mais qui est l’auteur de cette œuvre ? Le coin inférieur droit laisse apparaître la signature de Marthe Ternand. Cette artiste est née en 1888 sans que sa date de décès nous soit connue. Si on retrouve dans les recueils d’enchères passées d’autres toiles de sa main, force est de constater qu’elle est aujourd’hui oubliée. Pourtant, les artistes femmes sont très présente dans le genre de la peinture de fleurs. Les plus célèbres d’entre-elles sont, au XVIIe siècle, la hollandaise Rachel Ruysch et la française Louise Moillon. Mais Marthe Ternand dans sa manière de peindre regarde davantage du côté de ses contemporains de l’école de Paris. Avec son arrière-plan un peu austère, le tableau pourrait évoquer le misérabilisme de Bernard Buffet.

Un tableau de fleurs assez sombres, peint par une artiste presque oubliée, ne soulèvera pas l’enthousiasme des collectionneurs. On peut donc l’estimer autour de 100 euros, pour ses jeux de textures. Toutefois, ce tableau reste agréable et ses fleurs de soleil nous appellent aux temps plus cléments, à l’air iodé des vacances et des beautés simples. C’est l’occasion de vous souhaiter un bel été et belles vacances pour notre dernière chronique avant le mois de septembre !
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