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Juste deux ou trois mots d’amour… une déclaration figée dans le plâtre

Samedi 10 juillet 2021 à 07h

Cette semaine, Céline, nous fait parvenir la photographie d’une statue. Philippe Rouillac, commissaire-priseur, partage son avis.



Dans le pays de l’amour la compétition des plus belles déclarations fait rage. De la sérénade de Cyrano de Bergerac, des crimes de l’amour de Sade, aux Lettres à Lou d’Apollinaire, notre culture compte mille et une façon d’aimer et de le dire. Notre très riche littérature s’invite en premier lorsque l’on évoque l’art d’aimer. Pourtant, les sculpteurs du début du XIXe siècle au début du XXe siècle ont figé les premiers baisers et les marivaudages, avec une sensualité que seuls les arts plastiques ne peuvent saisir. Du romantique « Psyché » de Canova au Louvre, au plus synthétique « Le Baiser » de Brancusi au Centre Pompidou, la pierre incarne les passions que l’on aimerait caresser de la main.

La sculpture de notre lectrice porte la signature d’un certain « T. Cipriani ». Son style plutôt français, très fin de période Art Déco, peut correspondre à celui de Telemaco Cipriani. La famille Cipriani est connue pour avoir été active à Florence à la fin du XIXe siècle jusqu’aux années 1930. Exilés par la suite en France, les Cipriani s’inspirent du mouvement Art Déco et réalisent des œuvres de qualité, néanmoins sans beaucoup d’invention.

Mesurant une quarantaine de centimètres de haut, la sculpture de Céline se présente sur un carré de terre. Une charmante paysanne adolescente s’appuie sur une barrière tandis qu’un éphèbe vient s’y accouder. Le jeune homme tente de croiser le regard de sa belle dans l’attente de son approbation. Cette dernière s’y refuse par timidité ou par malice. Elle porte son doigt sous son menton avant de lui donner sa réponse. Le sort de leur amour est comme suspendu dans le vide. Ce sera un oui à n’en pas douter.

Le socle de la sculpture semble fait de la même matière que le reste de la composition. On y lit le titre de l’œuvre « Déclaration ». Les quelques éclats visibles sur les bords laissent transparaître une pate blanche. Il s’agit probablement de plâtre. L’aspect terne des figures ne cache pas le caractère artificiel de la patine qui imite celle d’un bronze. Le manque de profondeur dans les coups de ciseaux, l’absence de ciselure confirme cette hypothèse de départ. À la différence des fontes en bronze, aux tirages limités, le plâtre est un mélange de gypse et d’eau très bon marché. Il permettait aux sculpteurs ou aux ateliers de copie, de reproduire un modèle à l’infini avec un moule pour un prix très inférieur à celui d’un alliage métallique. Afin d’imiter la matière la plus noble, on lui applique une peinture ou vernis mordoré afin que le plâtre ressemble à du bronze. Cependant, contrairement au bronze, il n’est pas possible de retravailler la sculpture en plâtre après sa sortie du moule. Pour résumer, avec le plâtre l’image demeure mais l’art se perd.
Un lecteur nous avait déjà soumis il y a quelques années une autre œuvre de T. Cipriani en marbre cette fois, que nous avions alors estimé au moins 1.000 euros. Cinquante nuances de plâtre ne valent pas cinquante nuances de marbre et la déclaration en plâtre de Céline risque de laisser de marbre le cœur des amateurs. Comptez donc sur une centaine d’euros pour cette douce image !
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