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L’art de la barbotine et des mises en abyme

Samedi 26 juin 2021 à 07h

Cette semaine, Bruno, de Banyuls en Catalogne, nous fait parvenir la photographie d’un vase. Philippe Rouillac, commissaire-priseur, partage son avis.



On connaît le port de Banyuls pour son vin doux naturel, dont les vieux millésimes régalent le palais des catalans depuis les Templiers du Moyen-Âge. Pourtant le vase que nous présente Bruno paraît bien exotique pour les Pyrénées-Orientales, et pour cause il provient de l’autre extrémité de l’hexagone.
Prenant la forme d’un vase fuseau à deux anses il repose sur quatre enroulements façon feuille d’inspiration rocaille. La panse comporte quatre compartiments dans lesquels s’inscrivent à chaque fois une fleur épanouie de couleur bleue tirant sur le violet qui semble être une clématite. Le sommet du vase figure les mêmes fleurs rose fuchsia, apposées également sur le haut des anses. Ces motifs qui n’ont pu être cuits en même temps que le reste de l’objet, indiquent un travail en plusieurs étapes. C’est un indice important qui nous renseigne sur la technique utilisée !
Le vase de notre lecteur est en faïence moulée. Il s’agit d’une pâte argileuse recouverte d’un émail à base d’étain qui lui confère son éclat. À la différence de la porcelaine, la pâte n’est ni vitrifiée ni homogène. Dans le langage courant on appelle parfois ce genre d’objet des barbotines. La barbotine est une pâte argileuse très délayée dans l’eau. Elle a plusieurs usages, dont le principal est d’assembler les éléments d’une céramique entre eux, fonctionnant comme une sorte de colle. Les fleurs du vase de Bruno ont nécessité l’utilisation de cette technique pour créer ce décor en relief après une première cuisson de la structure. Avec ses couleurs acides et ses motifs de clématites, cette pièce rappelle les productions d’une faïencerie proche de Valenciennes dans le département du Nord.
Crée en 1821, sous la Restauration du roi Louis XVIII, la faïencerie d’Onnaing est célèbre pour ses pièces en barbotine. À cette époque, où de nombreuses fabriques se développent, comme celle de Gien créé la même année, les de Bousies et les de Secus, deux familles nobles de la région, fondent une entreprise qui perdure jusqu’en 1938. Il s’agit a priori de faire échapper la fabrique belge de Nimy aux droits de douane en la déplaçant en France. Contourner la fiscalité n’est pas un phénomène neuf !
Jouant sur les mises en abyme, les productions d’Onnaing reprennent parfois dans leur décor l’élément qu’elles sont destinées à recevoir. Un vase à fleurs aux fleurs, un pichet à vin aux feuilles de vignes, les productions bien que décoratives restent utilitaires. Forte d’un succès certain, la faïencerie emploi jusqu’à cinq cents ouvriers. Elle perpétue un style naturaliste inspiré de l’Art Nouveau tardif. Les pichets anthropomorphes, dont ceux présentant des personnalités, sont également une spécialité de la faïencerie d’Onnaing. Dans le nord de la France on les appelle des Jacquot !
En bon état, sans accident aux barbotines, et en vérifiant que la pièce porte sous sa base la marque de la faïencerie, on pourrait estimer le vase de notre lecteur entre 100 et 200 euros. Des productions malheureusement tombées peu à peu en désuétude à l’instar des faïences de Mistrangello le céramiste catalan des alentours de Banyuls… Mieux vaut retrouver une vieille bouteille de Banyuls à Onnaing, qu’une faïence d’Onnaing à Banyuls !
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