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Les moulins à vent d’un presque chef d’œuvre

Samedi 19 juin 2021 à 07h

Cette semaine, Marie-Claire nous fait parvenir la photographie d’un tableau. Aymeric Rouillac, notre commissaire-priseur, partage son avis.



Le moulin de la Galette est aujourd’hui le dernier moulin en état de marche sur la butte Montmartre, qui était autrefois scandée par des géants aux pales de bois. Ce monument célébré par les peintres de la fin du XIXe siècle et de la Belle Époque doit d’avantage sa célébrité au bal qui se tenait sous sa tour qu’à son activité de minoterie. En effet la famille de meuniers Debray organise une fête ouverte au public, immortalisée par les pinceaux de Renoir, de Toulouse-Lautrec ou encore de Van Gogh. Maurice Utrillo (1883-1955) fait partie de ces peintres que l’on classe dans l’École de Paris. De 1900 à 1960, la capitale française est aussi la capitale mondiale des arts. Tous les artistes d’avant-garde goûtent aux couleurs de la Seine comme aux charmes des parisiennes. Utrillo se fait remarquer avec ses vues de Paris presque en monochrome de blanc. Fils de Suzanne Valadon, artiste en vogue et modèle de Puvis de Chavanne, Renoir et Toulouse-Lautrec, le jeune Maurice côtoie très tôt les maîtres de la nouvelle manière. Parisien parmi les parisiens il produit tout au long de sa vie des vues de la capitale dont les sujets évoluent moins que leur style.

Le tableau présenté par Marie-Claire est typique du travail de cet artiste. Il porte la signature du peintre en bas à droite, le titre « Montmatre » en bas au centre et une dédicace qui surplombe la signature. Difficilement déchiffrable on y lit « À Monsieur Bakwin cordialement ». Les docteurs Bakwin sont un couple de pédiatres et pédopsychiatres américains, célèbres pour leur importante collection de peintures, comptant des Rivera des Soutine et surtout l’Arlésienne de Vincent Van Gogh.

Ces trois moulins peints par un artiste important du début du XXe siècle et ayant appartenu à un couple de grands collectionneurs pourrait être un véritable trésor… s’il n’était pas une reproduction, une copie, ou un faux ! Cette toile très réussie a été vendue à New-York le 15 mai 2019. Ses couleurs beaucoup plus chatoyantes et sa provenance directe depuis la famille Bakwin laissent peu de doutes sur la primauté de la version newyorkaise. L’œuvre de notre lectrice n’est donc pas l’originale, sauf à ce qu’elle l’ait acheté à New York il y a deux ans !

Encore faut-il distinguer copie, reproduction et faux. On entend par reproduction tout tirage à numérotation limitée ou non permettant de retranscrire mécaniquement l’image. Cela peut aussi bien être une affiche de ce tableau grandeur nature, recouverte d’un vernis transparent comme c’est parfois le cas. La copie elle, est l’œuvre d’un peintre amateur ou expérimenté désireux de se faire la main. Mais une copie peut avoir de la valeur. La Vierge au Lapin de Titien peinte par Manet et ainsi aujourd’hui confronté dans les salles du Louvre à son original, et elle y offre une perspective historique intéressante. Quant au faux, il est l’œuvre d’un peintre ayant une bonne technique… mise au service de la tromperie. Juridiquement c’est l’intention qui caractérise le faux. Fidèle jusque dans sa dédicace au tableau de New-York, l’œuvre de Marie-Claire semble plutôt relever de la reproduction.

Cette version des Trois Moulins d’Utrillo n’a donc par nature qu’une valeur décorative. Une centaine d’euros pour une copie, une dizaine pour une reproduction. L’original lui a été adjugé 212 500 dollars, de quoi laisser… rêveur… jusqu’à un Don Quichotte moderne à travers les moulins de Montmatre.
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