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« Under pressure » ou… la musique des livres

Vendredi 28 mai 2021 à 07h

Aujourd’hui, une lectrice de Bouffry, nous fait parvenir la photographie d’un étrange instrument. Aymeric Rouillac, notre commissaire-priseur, partage son avis.



Ancien mais encore rutilant, l’objet de notre lectrice nous interpelle d’abord par sa grosse vis et ses larges mâchoires. Destiné à compresser des objets entre ses pales en tournant le levier de serrage, cette presse est marquée d’une plaque. On y lit « Fortin & Cie Papetiers-Imprimeurs, 59 r des petits champs Paris ». Il s’agit donc d’une presse à relier !

Le bicentenaire de la mort de la mort de Napoléon a permis de mettre en lumière l’héritage social et culturel de l’Empire. Parmi ces révolutions le Code Civil - l’incarnation du Droit écrit – fait office de symbole le plus lumineux. En 1802 celui qui deviendra Empereur des français ordonne la création de l’imprimerie « Fortin » à Paris. Cette dernière livre alors Sénat, Assemblée Nationale et quelques monarques comme Nicolas II. L’entreprise se spécialise dès son origine dans l’impression des documents rendus obligatoires par le Code Napoléon. Ces productions de documents officiels se prolongent ensuite dans l’impression de ceux des officiels ministériels, parmi lesquels notaires, commissaires-priseurs ou encore pour les experts comptables. Dans les années 1960 la société déménage de la rue des Petits Champs dans le premier arrondissement, pour Clichy. Cet indice nous permet d’établir avec certitude que l’outil présenté par notre lectrice est antérieur au milieu du XXe siècle.

Il faut ensuite établir la fonction de cette machine qui peut demeurer obscure pour les néophytes. Si elle fonctionne à peu près comme un étau d’établi, ses proportions et surtout sa morsure verticale – au contraire de l’étau d’établi qui a une action horizontale – l’en distingue. Il faut savoir que l’imprimerie Fortin perpétue le métier de « façonneur » en plus de celui de papetier. L’entreprise produit encore des ouvrages reliés dans de petits volumes. C’est justement ici que la machine trouve son utilité. En effet, les livres sont imprimés sur des grandes feuilles que l’on plie ensuite en cahiers. Avant de coudre les cahiers entre eux il est impératif de les mettre sous presse. Le livre est alors disposé sur un « cousoir » où le dos doit dépasser pour créer l’arrondi. Une fois encollé, on rogne la gouttière tandis que l’arrondissure se fait au marteau. Une fois ces étapes passées, le relieur d’art colle de la mousseline sur le dos où l’on dispose des petites bandes de cuirs qui deviendront les « nerfs ». Une peau de cuir, mouton, veau ou marocain peut ensuite venir orner l’ouvrage. Pour les plus précieux, le doreur va titrer le livre. La richesse des plats, appelés dans le langage profane la première et quatrième de couverture, accueillent la plupart du temps le décor. Aucun relieur d’art ne pouvant s’exprimer sans une grande homogénéité du support, la presse à relier demeure l’outil indispensable de tous les imprimeurs.

La matière de l’appareil est elle aussi typique d’une époque : la révolution industrielle. La fonte de fer est un alliage de fer et de carbone. Elle se distingue par sa grande « coulabilité », c’est à dire qu’elle est fluide et liquide en fusion. Cette caractéristique lui permet d’être moulée de façon idéale et donc de produire en série. Parfois « puddlé », c’est à, dire chauffé et martelé, le matériau est utilisé massivement tout au long du XIXe siècle, comme pour la construction de la Tour Eiffel. Remplacé par l’acier, les machines en fonte disparaissent peu à peu au cours du siècle suivant.

La presse de notre lectrice n’est pas un objet de collection par essence, mais elle a acquis au fil du temps la valeur esthétique de ce qu’elle évoque. Peu adaptée à une vente aux enchères, on en trouve toutefois sur internet proposée entre 100 et 300 euros pour des modèles plus… décoratifs.
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