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À Vendôme, chez Philippe, Christine et Aymeric Rouillac - Une leçon de (belles) choses

Mercredi 26 mai 2021

Point de Vue, Emmanuel Cirodde, Photo Julio Piatti

Commissaires-priseurs de père en fils, ils font rayonner leur maison de vente largement au-delà des frontières du Val de Loire. Avec ses allures d’hôtel des ventes, leur étonnante maison de famille possède un charme paisible, comme au temps de Balzac, qui fut élève au lycée Ronsard tout proche.


Avec l’aide de son fils, Philippe Rouillac n’hésite pas à sortir au grand air une vue de Dieppe de Claude Monet, vedette de leur prochaine « vente garden-party » du 6 juin, au château d’Artigny. « Au soleil, il est splendide, lance le père d’Aymeric et époux de Christine. Tous ces objets sont faits pour vivre et, après tout, Monet l’a bien peint dans un champ à ciel ouvert. » Cette anecdote est conforme à la philosophie de la maison Rouillac, dont le succès souriant s’appuie sur une rigueur de travail absolue, une connaissance extrêmement fine des arts et surtout, un regard singulier qui lui permet de s’attarder là où les autres n’ont rien vu. S’y ajoute un amour absolu pour ces objets porteurs d’histoires à peine croyables. « Lorsque j’ai connu Philippe, se souvient son épouse Christine, j’ai été éblouie par sa chambre de jeune homme, toute petite, mais déjà un véritable musée. Aujourd’hui, notre demeure lui ressemble. »

De fait, la belle bâtisse, dont des marques de compagnonnage visibles sur la charpente remontent à 1430, abrite profusion
de merveilles donnant lieu à des accords détonants. Une spectaculaire bibliothèque Carlton de Sottsass noue un improbable dialogue avec deux bergères d’enfant Louis XVI de Jacob. Une lampe-personnage de Niki de Saint Phalle esquisse un pas de danse sur le plateau d’un porte-turban ottoman…

L’envol de la maison Rouillac intervient au début des années 1980… par un tour de manège. Celui du parc Pasteur, à Orléans, dont la vente crée l’événement. Alors que les petits Vendômois ne se font pas prier pour faire des tours sur les
chevaux de bois remontés devant l’hôtel des ventes, Philippe Rouillac abat son marteau sur une enchère à 240 000 francs (36 588 euros). Le manège a trouvé acquéreur… en Californie ! De fil en aiguille, les Rouillac se verront confier d’autres biens aussi insolites qu’un morceau d’escalier de la Tour Eiffel ou un lot de wagons du mythique train Orient-Express. Dans le livre Adjugé ! La Saga des Rouillac, Aymeric retrace l’aventure et raconte de siècle en siècle l’histoire de l’art par les objets passés entre leurs mains. À l’image de ce Christ enfant méditant sur la croix des frères Le Nain, retrouvé en Vendée, de cette sensuelle Vénus et l’Amour voleur de miel de Cranach, que le vendeur leur a apporté dans un sac plastique, de cette gourde de l’empereur Qianlong recyclée en cendrier, ou encore de ce magnifique coffre de Mazarin en laque du Japon, faisant office de bar à porto avant d’être acquis par le Rijksmuseum Amsterdam pour plus de 7 millions d’euros… « C’était un meuble tellement important qu’à chaque fois qu’il était chargé sur un bateau pour changer de mains, nous en retrouvions la trace, se souvient Aymeric Rouillac, qui a mené l’enquête prouvant son authenticité. Dans le registre de la Compagnie des Indes lorsqu’il quitte le Japon en 1642, dans l’inventaire de Mazarin, dans les ventes de ses descendants au début du XIXe siècle, ou chez Christie’s en 1916… »

Chaque année aux beaux jours, Philippe, Christine et Aymeric Rouillac se font les hôtes d’un spectacle à nul autre pareil, des garden-parties très prisées qui ont eu pour écrin le château de Cheverny, et maintenant celui d’Artigny. Deux
lieux mythiques, théâtres de ventes aussi prestigieuses que conviviales, où l’on croise amateurs, passionnés,
experts – et parfois Mick Jagger –, et dont Sue de Brantes fut la bonne fée.
« Une garden-party est plus qu’une vente, c’est un instant, quelque chose qui ne se renouvellera pas, estime Aymeric Rouillac. Nous agissons de manière atypique, en prenant notre temps, proposant entre vingt et trente numéros à l’heure, quand nos confrères en expédient soixante à cent. Ces objets le méritent, nous racontons leur histoire… » Et chacun d’attendre avec impatience le résultat de l’enchère pour ce Monet, mis à prix à 1 million d’euros. « Les tableaux de Monet ne passent plus en vente à Paris, mais à New York, abonde Philippe Rouillac. Celui-ci sera vendu en France, et même en province ! »
Un motif de fierté pour toute la famille, enfants et petits-enfants compris. Et tandis que les marteaux de son époux et de son fils scandent les adjudications, Christine Rouillac prend soin des hôtes et veille à ce que chacun traverse au mieux
ces instants intenses. « Son rôle est capital. Elle est notre clé de voûte », rappelle, ému, Philippe Rouillac. « Il est parfois lourd de vendre et plus facile d’acheter, assure-t-elle. Nous aimons ouvrir notre maison, où les gens se confient. » Et
de conclure dans un sourire: « J’aime les objets, mais je préfère les gens. »
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