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Madame de Laverdine par Nattier, 1734

Mardi 05 janvier 2021

par le cabinet Turquin

JEAN-MARC NATTIER (Paris, 1685-1766)

Portrait de Marie-Geneviève Gaudart de Laverdine, 1734

Toile.
Signée à droite "Nattier Pinxit/1734"
Étiquette ancienne au dos sur le châssis.

Haut. 81 Larg. 65 cm.
Cadre en bois sculpté et doré, travail français d'époque Louis XV.

Provenance : conservé dans la famille du modèle depuis l'origine, qui a transmis par tradition cette identification.

A portrait of Marie Geneviève de Guillebon, wife of Gaudard de Laverdine, by Jean Marc Nattier. Canvas. Signed and dated 1734.

Essai par le cabinet Turquin

Inédit, ce beau portrait féminin s'inscrit aisément dans la carrière de Nattier aux côtés de ceux de Marie-Elisabeth de Rouvray de Saint-Simon (1739, collection particulière) ou de la marquise Emilie du Châtelet (1743, localisation inconnue). La pose est proche. Il invente une composition pyramidale de losanges imbriqués, le premier autour du visage, puis un autre dessiné par le décolleté et les pans du voile qui tombent sur les épaules. Ce subtil mouvement de la coiffe donne toute son originalité à notre toile. Jean Raoux avait mis à la mode le portrait féminin "en vestale" au cours des années 1720, qui par un contre-sens un peu paradoxal assimilait les prêtresses romaines du feu sacré aux jeunes femmes mariées gardiennes du foyer conjugal. Nattier reprend ici le concept. Il peint le modèle de façon réaliste, sans utiliser un travestissement mythologique ou, comme souvent, une draperie "bleu-Nattier", mais un contraste coloré dynamique surprenant. La gamme très douce autour du visage, probablement révélatrice du caractère serein du modèle, rendue un blanc nacré rompu d'un ton tilleul, des tons de roses différents, est dynamité en bas par un manteau rouge vif, gansé de broderies dorées.

Les mentions de l'étiquette sur le châssis nous entrainent dans l'aristocratie berrichonne du 18e siècle. Le modèle était la fille de Pierrre de Guillebon, sieur de Boissy lieutenant général des chasses du duché d’Orléans, et de Madeleine Guinebaud. Née à Bourges vers 1713, Marie-Geneviève épousa le 14 juillet 1729 à Orléans Pierre Gaudart de Laverdine (1701-1765), dont elle eut sept enfants : Marie-Anne en 1733, Françoise en 1734, Anne-Geneviève en 1735, Pierre en 1736, Etienne en 1737, Catherine en 1740, Benjamin en 1742 et Prosper (Gaudart de Verteuil) en 1743 (selon l'arbre généalogique de la famille Gaudart réalisé par Antoine Gaudart sur le site Geneanet).

La notoriété de la famille de son mari remontait au début du 15e siècle, lorsque le négociant Pierre Godart devint un compagnon de Jacques Coeur. Plus tard, Étienne Gaudart, marchand, échevin de Bourges, acquit en 1678 la seigneurie des Verdines, et fut anobli en 1689 grâce à l'office de trésorier de France. Son fils et son petit-fils, l'époux de Marie-Geneviève, héritèrent de cette charge de trésorier. Ce dernier était aussi commissaire des Ponts et Chaussées de la généralité du Berry et demeurait à la paroisse Saint-Ursin à Bourges. Le peintre néoclassique Alphonse Gaudar de Laverdine (1780- 1804), Grand Prix de Rome 1799, était le petit-fils de notre modèle (une exposition lui a été consacré à Châteauroux en 1999).

Nattier est le plus grand portraitiste de l'époque Louis XV. Même s'il s'était déjà fait remarquer dès le début du siècle par Louis XIV et le tsar Pierre le Grand, c'est dans le second tiers du 18e siècle qu'il donne la pleine mesure de son talent. Fils de peintre, il est agréé à l'Académie royale en 1713 et élu membre cinq ans plus tard. Dans les années 1730, il peint de nombreuses effigies à mi-corps, comme cette toile, en variant à chaque fois la pose ou le cadrage. Ses carnations d'une grande douceur et le rendu des textures, des tissus lui assurent une importante clientèle. Il est alors le portraitiste officiel de la famille d'Orléans. C'est dans les décennies suivantes, 1740 et 1750, qu'il réalise les célèbres portraits de la famille royale à Versailles.

Essai de provenance par la maison Rouillac


La tradition familiale rapporte sans discontinuité jusqu’à aujourd’hui l’attribution du modèle de ce portrait à Marie-Geneviève Gaudart de Laverdine. Les recherches généalogiques qui ont été menées, n’ont pas permis de la contredire.

Appartenant à la noblesse de robe depuis deux générations seulement, les Gaudart de Laverdine, originaires du Berry, sont marchands de draps et de soie, bourgeois et échevins à Bourges au XVIIe siècle. Pierre Gaudart de Laverdine (1701-1764), ancien mousquetaire du roi, président trésorier général de France du Berry, s’allie le 25 juillet 1729 en l’église de Saint Germain d’Orléans à Marie Geneviève Guillebon, baptisée à Orléans le 7 octobre 1713, fille de Pierre Guillebon, sous-lieutenant des chasses de Sologne du duc d’Orléans et de Madeleine Guinebault. Le contrat de mariage, passé devant Me Poullin notaire à Orléans le 23 juillet 1729, révèle que la dot de la future épouse s’élève à plus de 105 000 livres tournois constituées principalement de rentes perpétuelles de l’hôtel de ville de Paris. Les Guillebon occupent effectivement une place prépondérante dans la haute bourgeoisie parisienne du milieu de la finance et du commerce. Son aïeul, Jacques Guillebon, marchand épicier, juge consulaire et échevin de la ville de Paris, favorise les unions profitables, à l’instar de celle avec les Guinebault d’Orléans ou de celle avec Claude Mathieu Radix, banquier à Paris, intéressé dans la manufacture des glaces à Paris et trésorier payeur des rentes de l’hôtel de ville de Paris.

Rappelons qu’avant de devenir peintre officiel de la famille royale au début des années 1740, la réputation de Nattier s’est construite grâce aux nombreuses commandes issues des familles fortunées de la finance et de la ferme générale, tels les portraits de Marie Thérèse Catherine Crozat, marquise du Châtel en 1733, Madame Dupleix de Bacquencourt en 1735 ou celui de Monsieur Sarasin en 1734, banquier genevois installé à Paris.

Marie Geneviève Guillebon décède subitement le 14 mai 1757 à 44 ans en son hôtel particulier situé en la paroisse de Notre Dame du Fourchaud, en plein cœur du quartier historique de Bourges. Un inventaire après-décès est dressé à partir du 21 juin 1757 par Me Jacques Dumont, notaire royal au siège présidial de Bourges. Aucuns tableaux ne parent les pièces de réception, mais seulement ornées de tapisseries de différentes manufactures. Excepté le cabinet d’assemblée qui est apprêté « de huit fauteuils couverts de tapisserie, un sofa à trois places couvert de tapisserie et velours d’Utrecht (…) deux tapisseries d’Aubusson et d’un dessus de cheminée garni de deux glaces, (…) bordures sculptées et dorées ainsi que le tableau qu’est au-dessus encadré, ainsi que les glaces… ». L’inventaire ne précise ni le sujet ni l’auteur du tableau, mais nous donne toutefois son estimation de 140 livres qui équivaut aux estimations les plus onéreuses des tapisseries ornant la demeure. Le prestigieux portrait est ainsi exposé à la vue de tous, dans la pièce la plus nantie de la demeure, réservée à la conversation et au jeu.

Si le modèle paraît relativement âgé sur notre portrait, d’autres œuvres de Nattier figurent des femmes jeunes avec des traits mûrs. Nous pouvons donner l’exemple des filles de Louis XV, Madame Henriette de France en vestale (fig. 1) (Detroit, Institut of Arts, 1749, 43.417) âgé de 22 ans, ou Madame Sophie de France en vestale posant à l’âge de 15 ans (fig. 2) (Versailles, Musée et château de Versailles, 1748). La même caractéristique s’applique également aux hommes.
Se rapprochant dans la composition et l’utilisation du drapé rouge sur un fond neutre du Portrait de Monsieur Sarasin (fig.3) daté lui aussi de 1734, notre tableau provient d’une collection particulière de qualité conservant d’importants portraits du XVIIIe siècle. Nous citerons pour exemple le portrait de Charles Gravier, Comte de Vergennes, vendu en 2016 au château d’Artigny lors de la XVIIIe vente Garden-Party et aujourd’hui conservé au château de Versailles (fig.4).

Illustrations :


Jean-Marc Nattier, Portrait de Madame Henriette de France en vestale, 1749, Haut. 180, Larg. 133 cm., Detroit, Institut of Art, 43.471.
Fig. 1. Jean-Marc Nattier, Portrait de Madame Henriette de France en vestale, 1749, Haut. 180, Larg. 133 cm., Detroit, Institut of Art, 43.471.

Jean-Marc Nattier, Portrait de Madame Sophie de France, fille de Louis XV, représentée en vestale, 1748, Huile sur toile, Haut. 143, Larg. 100 cm., Versailles, Château et musée de Versailles, MV 4392.
Fig. 2 Jean-Marc Nattier, Portrait de Madame Sophie de France, fille de Louis XV, représentée en vestale, 1748, Huile sur toile, Haut. 143, Larg. 100 cm., Versailles, Château et musée de Versailles, MV 4392.

Jean-Marc Nattier, Portrait de Monsieur Sarasin, 1734, Huile sur toile, Haut. 79, Larg. 53 cm., Paris, Petit Palais, PPP2535.
Fig. 3 Jean-Marc Nattier, Portrait de Monsieur Sarasin, 1734, Huile sur toile, Haut. 79, Larg. 53 cm., Paris, Petit Palais, PPP2535.

Antoine-François Callet, Portrait de Vergennes, Toile, Haut. 159, Larg 129. cm., Vente Rouillac, Artigny 2016, n°344, Versailles, Château et musée de Versailles
Fig. 4 Antoine-François Callet, Portrait de Vergennes, Toile, Haut. 159, Larg 129. cm., Vente Rouillac, Artigny 2016, n°344, Versailles, Château et musée de Versailles
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