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Vue panoramique du nouveau sérail, c. 1778

Mardi 05 janvier 2021

par Brice Langlois, historien de l'art

Serail Cosimo Vieiro

Cosimo Comidas de CARBOGNANO (dessinateur arménien, actif au XVIIIe siècle)
et Teodoro VIERO (graveur italien, 1740-1819).

Vue panoramique du nouveau sérail, Constantinople, c.1778

Gravure. Quatre feuilles illustrées et trois demi-feuilles de légende.
Titrée et dédicacée : « Veduta del nuovo Serraglio tutta lésattezza da Galata presso dedicata a S.E. il Sig D Guglielmo delle due Sicilie e suo Inviato del Signore presa con L’Ospizio de R.R.P.P. Cappuccini de Ludolf Segretario di S.M il Rè Straordinario alla Porta Ottomana ».

Haut. 67, Larg. 196 cm.
(à vue).

Provenance : château en Touraine.

Œuvres en rapport :
- Carbognano, Paire de vues panoramiques de Constantinople à la fin du XVIIIe siècle, l'une depuis Galata, l'autre depuis la mer de Marmara, plume et encre noire (Haut. 52,5 Larg. 210,5 et Haut. 51,5 Larg. 214,5 cm.), Vente Artcurial, Paris, 31 mars 2016, n°77 puis Shapero Rare Books, Londres.
- Carbognano, Vue panoramique du nouveau sérail, Constantinople, gravure rehaussée en couleur (Haut. 32, Long. 183 cm.), Musée Bénaki, Athènes, n°25724.
- Carbognano, Vue panoramique du palais du Sultan, Constantinople, gravure rehaussée en couleur (dimensions inconnues), ancienne collection von Celsing, Orientalist Museum, Doha (d’après MacKenzie).
- Gudenus, Vue panoramique de la ville de Constantinople depuis Seraglio, Paris, c. 1760, gravure rehaussée en couleur (Haut. 46, Larg. 165 cm.), Musée Bénaki, Athènes, n°29061.

Bibliographie : Julian MacKenzie, « Looking East, Looking West, The Ottoman World observed by European Travelers », Shapero Rare Books, Londres, n.d.

LA VUE DU NOUVEAU SÉRAIL ET LA SUBLIME PORTE

Par ses belles dimensions et sa transcription topographique précise, notre gravure se présente comme un rare témoignage de la Sublime Porte à la fin du XVIIIe siècle. Quatre-vingt points d’intérêts du palais de Topkapi sont numérotés dans le dessin et légendés en bas. Des appartements les plus intimes jusqu’à Sainte Sophie en passant par le mausolée du sultan Selim. Si cette gravure dérive de la partie gauche d’un grand dessin à l’encre dédicacé après 1794 au premier ministre espagnol Godoy, son commerce est attesté à Venise dès 1778. Toutefois, un seul exemplaire était référencé jusqu’à présent sur terre : au musée Benaki à Athènes. Une suite gravée de ce panorama, provenant de l’ancienne collection Von Celsing, serait conservée au Musée Orientaliste à Doha.

Cosimo Comidas de Carbognano, aussi appelé Komitas Körmüciyan, réalise vraisemblablement cette importante vue en 1778. En effet, dans l’Esprit des journaux français et étrangers est mentionné « que l’on vient de publier ici [Péra] nouvellement une vue du ferrail avec les autres édifices et jardins qui l’accompagnent sur le canal, comme auffi avec le temple de Ste Sophie et Chalcédoine en Afie tel qu’on les voit de Galata. La gravure a été fait d’après le dessin de M. Cofmo Comidas de Carbognano, né à Conftantinople, & élevé à Naples dont la cour l’entretient en qualité d’enfant de langue : en reconnaissance de quoi il l’a dédié au miniftre de Naples à Conftantinople, M. de Ludolf ». Petit-fils du vénérable arménien Der-Comidas Keumudjian – mort en martyr après son adhésion à la cause de l’Église catholique de Rome – et fils de Jean Keumudjian, drogman du roi de Sicile, Cosimo prolonge alors l’héritage paternel en servant la légation du Royaume de Naples.

Il accompagne ainsi comme traducteur le comte de Ludolf dans le Bosphore entre 1778 et 1785, comme le fera à sa manière Louis François Cassas avec Choiseul-Gouffier quelques années plus tard. L’abbé Sestini, avec qui l’artiste partage cette protection, écrit en 1778 à son propos qu’il « donnera successivement toutes les antiquités de Constantinople et [des] différents monuments turcs dans les environs de la capitale ». Ceci prend forme définitivement en 1794 dans la Descrizione topografica di Constantinopoli, arrichita di figure. Notre gravure est l’une des premières représentations utiles à la publication de ce livre. Effectivement d’autres grands dessins réalisés autour de 1778 servent à cet ouvrage, rendant une image exacte et un rendu pittoresque.

C’est à l’ambassadeur de Naples, son mécène le comte de Ludolf, que Carbognano dédit notre gravure. Cependant, il ne peut imprimer directement son dessin à Constantinople, faute de professionnel qualifié. Il confie donc la tâche à un marchand de Venise, Teodoro Viero (1740-1819), qui rachète les dessins de nombreux voyageurs en vue de reproduire des paysages, scènes de vie et monuments en provenance du monde entier. Viero lui donne ainsi « 100 ducats la planche, prix modique pour la grandeur » et vend le panorama dans sa boutique, comme le signale une publicité parue dans le Notizie Del Mondo du 31 mai 1788 : « en outre, on sait que la même boutique vend l'estampe grandiose de la vue du nouveau Sérail, et d'une partie de la ville de Constantinople, dessinée avec la plus grande exactitude par M. Cosimo Comidas de Constantinople ; celle-ci est longue de quatre feuilles impériales, et de trois autres demi-feuilles au pied de l'explication : une telle taille était nécessaire pour rendre visibles les choses les plus minutieuses. » À Constantinople, un exemplaire sera vendu 33 piastre lorsque qu’il est « illuminé » à l’instar du notre.
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