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Hommage à l'Angleterre par l'atelier de Rubens

Mardi 05 janvier 2021

par Aymeric Rouillac

atelier de Pierre Paul RUBENS (Siegen, 1577 - Anvers, 1640)

Allégorie avec Saint Georges et le dragon dans un paysage.

Toile.

Haut. 168, Larg. 248 cm.
(Restaurations anciennes).

An allegory of Saint George and the dragon by the workshop of Peter-Paul Rubens. Based on a painting located at Windsor Castle. Oil on canvas.

Certificat de libre circulation.

Provenance, par Élisabeth Royer :

- Collection Aguado, marquis de Las Marismas
- Hôtel Aguado, Paris, 6, rue Grange-Batelière, Vente après décès de la collection Aguado, en son hôtel, du 20 au 28 mars 1843, par Bonnefons de Lavialle et Benou, commissaires-priseurs, lot n°375, comme « Gozon, vainqueur du dragon de l’Île de Rhodes » (168 x 235 cm), adjugé 1.520 francs
- GAP
- Offert en hommage à Germain Sée (1818-1896), médecin de l’Empereur Napoléon III, du Sultan Mourad à Constantinople et de Victor Hugo, 45 bd Malesherbes, Paris
- Par descendance familiale, collection Pierre Sée (1880-1937), 8, bd Emile Augier, Paris,
- Spolié le 8 mai 1944 à madame Pierre Sée, née Hélène Cécile Alexine Anspach (1887-1976)
- Saisi par la Möbel-Aktion, sous le n° MA-B 1304. Entré au Jeu de Paume en mai 1944, Kiste Nr. MA-B 92 (vu le format de la toile, la caisse du Saint-Georges, « Kiste Nr. MA-B 92 » contenait probablement cette seule œuvre, entrée au Jeu de Paume entre avril et mai 1944.)
- Transféré à Nikolsburg (pièce 56)
- Transféré à Kogl (n°635) et photographié le 19 février 1945
- Entré au CCP de Munich sous le n° 22303 sous le titre « King Charles 1st, St Georg and St. Agnes in landscape » (169 x 249 cm), rapatrié en France le 7 janvier 1947
- Restitué le 23 mai 1950 à Madame Pierre Sée, domiciliée chez son frère Robert Anspach (1893-1971) 3, bd Emile Augier, Paris,
- Collection Maurice Jose Y Vieria, 3, bd Emile Augier Paris 16e, puis 12 place Vendôme, Paris Ier.
- Hôtel Drouot, Paris, 20 avril 1951, « Tableaux anciens et modernes », Me Maurice Rheims commissaire-priseur, M. Haro expert, lot n°55 titré « La Présentation » (169 x 249 cm)
- Mme Adèle Reyman, réfugiée hongroise, acquis à la vente précédente pour 21.000 frs
- Volé à Adèle Reyman qui porte plainte en novembre 1967
- Le tableau réapparait en février 1968 (Le Figaro du 1er février 1968, « Un Rubens inconnu découvert à Paris » ; Hans Wendland consulté en 1968 sur l’authentification du tableau)
- Hôtel Meurice, expert Alexandre Ananoff, Paris, 1er décembre 1976, lot titré « Saint Georges » et adjugé 240.000 frs (archives du Louvre)
- Galerie Alexander, c. 1980
- Collection particulière, acquis auprès du précédent,
- Par descendance, Philippe Méaille.

Bibliographie :

- Wolfgang Adler, Corpus Rubenianium Ludgwig Burchard Part XVIII, Landscapes and hunting scenes, Oxford University Press, New York, 1982. La toile est référencée p.119, n°35.


OFFERT PAR NAPOLÉON III, VOLÉ PAR LES NAZIS, LE « RUBENS ANGLAIS » ÉCHAPPE À L’INCENDIE DE L’ARMÉE ROUGE
par Aymeric Rouillac


Rubens, Autoportrait c. 1638-1638, Kunst Historishes Museum, Vienne
Rubens, Autoportrait c. 1638-1638, Kunst Historisches Museum, Vienne

Chargé par Philippe IV d’Espagne de ramener la paix entre son royaume et l’Angleterre, Rubens séjourne à Londres entre 1629 et 1630. Il tombe sous le charme de la campagne et écrit au cœur de l’été : « Cette île me paraît être un spectacle digne de l'intérêt de tout gentleman, non seulement pour la beauté des paysages et le charme de la nation, mais aussi pour les grandes œuvres d'art et les collections de la cour. » Connu pour ses portraits et ses scènes d'histoire, Rubens développe un talent de paysagiste dans les quinze dernières années de sa vie et renouvèle complétement ce genre par des vues panoramiques où la lumière vibrante zèbre l'espace et les nuages. Il réalise alors une vue de la Tamise depuis sa résidence de York House, où l’on aperçoit divers monuments de Londres au loin. En quittant l’Angleterre, le roi Charles Ier l’adoube chevalier et lui offre une somptueuse épée ornée de diamants. De retour à Anvers, le peintre agrandit sa toile pour la changer en un « Hommage à l’Angleterre », qu’il expédie au souverain britannique par l'intermédiaire de l’ambassadeur Endymion Porter en 1634 ou 1635. On y reconnait désormais le roi sous les traits de Saint Georges ayant terrassé le dragon et ramenant la paix civile. Seules trois versions de cette toile aujourd’hui conservée à Windsor Castle sont identifiées à travers les siècles par le Corpus Rubenianum. Celle-ci est la seule aujourd’hui localisée. L’une d’entre elle avait ironiquement été acquise par le Earl of Lincoln, opposant de Charles Ier, qui provoqua sa chute et la dispersion de ses collections. Vendue au moment du Commonwealth et de la dictature Cromwell, la toile originale est rachetée par George IV en 1814.

Lacona y Fontanet, Portrait d'Alexandre Aguado, 1832, Musée du Romantisme, Madrid
Lacona y Fontanet, Portrait d'Alexandre Aguado, 1832, Musée du Romantisme, Madrid

Notre version est la plus grande de celles créées par son atelier sous le contrôle du maître. C’est la seule qui a été agrandie d’une bande supplémentaire d’une vingtaine de centimètres sur la droite. Elle réapparait en 1843 dans la vente de la collection d’Alexandre Aguado, marquis de Las Marismas (1784-1842). Banquier négociant les emprunts de l’Espagne, mécène de Rossini et propriétaire de château Margaux, sa collection compte notamment la Vierge par Raphaël à Chantilly. Improprement intitulée Gozon, vainqueur du dragon de l'Île de Rhode, notre toile est vendue parmi cinq oeuvres de Rubens, dont une achetée par la liste civile du roi Louis-Philippe. Puis, elle est offerte en hommage au médecin de Napoléon III, le docteur Germain Sée (1818-1896). Ce médecin est celui qui ausculte en secret l’empereur et lui apprend la maladie mortelle dont il est atteint. Sa renommée l’appelle tant au chevet du sultan Mourad à la Sublime Porte qu’à celui de Victor Hugo. Dame d’honneur auprès de l’impératrice Eugénie, la veuve du marquis de las Marismas a pu influer sur le choix de cette allégorie pour le médecin aimé du palais des Tuileries, de la part d’un souverain anglophile ami de la reine Victoria.

Winterhalter, Portrait de Napoléon III, 1855, musée national du château de Versailles
Winterhalter, Portrait de Napoléon III, 1855, musée national du château de Versailles

Conservée chez ses petits-enfants, la toile est brutalement volée par les nazis le 8 mai 1944 lors des opérations de spoliation de Möbel-Aktion et intègre le Jeu de Paume. Elle n’est toutefois pas revendue sur le marché de l'art parisien mais envoyée au château de Nikolsburg, au sud de la Moravie. Ce lieu est l’antichambre de la Altaussee : la mine de sel des collections cachées par Hitler et Göring. À défaut d’envahir l’Angleterre, les chefs nazis s’emparent ainsi de son allégorie par Rubens. Expédiée en février 1945 au château de Kögl en Allemagne, elle échappe miraculeusement à l’incendie de celui de Nikolsburg, quelques semaines plus tard, lors des combats avec l’armée Rouge. Retrouvée à la fin de la guerre et sauvée par la section des Monument Men, parmi cinq millions d’œuvres d’art, elle est rapatriée en France en janvier 1947 et restituée à la famille Sée en 1950.

Portrait de Rose Valland, 1946, Smithsonian Institution
Portrait de Rose Valland, 1946, Smithsonian Institution

Vendue aux enchères à l’hôtel Drouot par Maître Rheims l’année suivante sous le titre « La Présentation », elle est acquise par Adèle Reymann, une réfugiée hongroise, avant de lui être dérobée en 1967, puis retrouvée. Le Figaro titre de manière fracassante le 1er février 1968 « Un Rubens inconnu découvert à Paris ». L’expert Hans Wendland avance alors que cette toile est l’originale et celle de la reine d’Angleterre une copie ! Plus prudent, Alexandre Ananoff la présente sous l’intitulé « Rubens et son atelier » avec de multiples interventions du maitre lors de sa vente à l’Hôtel Meurice en 1976 et la titre de façon appropriée « Saint George ». Elle est acquise par une galerie parisienne, puis revendue à un amateur, dont les descendants la confient aujourd’hui à nouveau aux enchères.

Le Figaro, 1er février 1968
Le Figaro, 1er février 1968

Il apparait que l’itinéraire aventureux de cette toile, qui a connu trois fois en deux siècles le feu des enchères sous trois appellations différentes, qui a été volée deux fois en moins de trente ans, dont une par les nazis, et qui a échappé à un incendie provoqué par l’Armée rouge, est à l’image allégorique de l’Angleterre en l’honneur de laquelle elle a été peinte : insubmersible !


L'histoire folle d'une toile de Rubens from ROUILLAC on Vimeo.

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