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Paire de chevets-vitrines de Vallin, c. 1904

Mardi 05 janvier 2021

par Jacques Farran, commisaire-priseur

Eugène VALLIN (Herbévilliers, 1856 - Nancy, 1922)

Exceptionnelle paire de chevets-vitrines "Masson-Bachelard", c.1904

Bois de padouk, ou santal, mouluré et sculpté en quart de cercle. Le meuble ouvre en partie haute par une porte vitrée galbée qui dévoile une étagère en verre et trois tiroirs. En partie basse, une porte révèle un fond en marbre blanc. Son sommet est coiffé d'un fronton se terminant par des volutes à gorge formant une niche. Les deux pieds antérieurs sont subtilement mouvementés.
Poignées des tiroirs « roseaux » et boutons de portes en laiton doré.

Époque Art Nouveau.

Haut. 186, Larg. 68, Prof. 53 cm.
(Petits accidents).

Provenance :
- Commande de Renée Masson et Pierre Bachelard à Eugène Vallin pour leur chambre à coucher du 8 rue Mazagran à Nancy, janvier 1904.
- Collection Alphonse Gaudin, 97 rue Charles III à Nancy.
- Acquis par Pierre et Georgette Danchin, aux enchères à Nancy, en 1956 ou au début des années 1960.
- Par descendance, Nancy.

Exceptional pair of bespoke bedside tables or showcases in padouk (sandalwood) manufactured by Vallin for Renée Masson and Pierre Bachelard. Nancy, 1904.

Œuvres en rapport :
- Eugène Vallin, Lit Bachelard-Masson, musée d'Orsay (202 x 272 cm, OAO 710)
- Eugène Vallin, Armoire Bachelard-Masson, musée d'Orsay (280 x 213 x 65 cm, OAO 711).
- Eugène Vallin, Coiffeuse Bachelard-Masson, œuvre disparue.

Bibliographie :
- Marc Bascou, Marie-Madeleine Massé et Philippe Thiébaut, « Musée d'Orsay. Catalogue sommaire illustré des arts décoratifs », Réunion des musées nationaux, Paris, 1988.
- Françoise-Thérèse Charpentier, « Le Jardin des arts », Tallandier, Paris, 1960.
- Frédéric Descouturelle, « Eugène Vallin menuisier d'art ou artiste industriel (1856-1922) », Association des amis du Musée de l'Ecole de Nancy, Nancy, 1998. Reproduit p. 214, décrit p. 304 comme des "chevets-vitrine d'angle".

UN CHEF-D’OEUVRE ART NOUVEAU


Parmi les grands mécènes de la période Art Nouveau, Jean-Baptiste Eugène Corbin fait figure de parangon. Ayant fait fortune avec sa chaîne de grands magasins, il emploie les plus célèbres figures de l’École de Nancy parmi lesquelles Majorelle, Daum ou Prouvé. En 1903, son beau-frère et associé Charles Masson fait appel à Eugène Vallin, assisté de Victor Prouvé, pour la réalisation d’une exceptionnelle salle à manger aujourd’hui exposée au musée de l’École de Nancy, ancienne maison Corbin. Un an plus tard, en février 1904, lors du mariage de sa fille Renée Masson (Nancy, 1885 - Neuilly-sur-Seine, 1968) avec l’avocat et gérant des magasins réunis Pierre Blanchard (Sarreguemines, 1877-1970), Vallin reçoit la commande d’une salle à manger et d’une chambre à coucher pour l’appartement que le jeune couple occupe au 8, rue Mazagran à Nancy. Les dessins aquarellés de l’artiste révèlent l’importance de cette commande, dont la salle à manger est d’ailleurs présentée à l’Exposition des arts décoratifs de Nancy en octobre de la même année.

La maison Gaudin, construite par l'architecte Georges Biet en 1899 à Nancy.
La maison Gaudin, construite par l'architecte Georges Biet en 1899 à Nancy.

Après que le couple Masson-Bachelard ait quitté Nancy, le lit, l’armoire, la coiffeuse et cette paire de chevets seraient vendus à un certain Alphonse Gaudin, 97 rue Charles III à Nancy. Les meubles sont ensuite vendus aux enchères à l’hôtel des ventes de la rue du sergent Blandan à Nancy, en 1956 (selon Charpentier) ou au début des années 1960 (selon les acheteurs). C’est un couple d’universitaires nancéiens qui fait l’acquisition des chevets : Pierre Danchin, professeur agrégé d’anglais, futur président de l’Université de Nancy II et son épouse Georgette mère d’une famille nombreuse. Leurs enfants se souviennent avec précision de l’arrivée des chevets chez eux au début des années 1960. Le lit et l’armoire sont vendus une nouvelle fois aux enchères le 25 mars 1982. Le Musée d’Orsay ne s’y trompe pas et acquiert alors le lit Bachelard-Masson (OAO 710) et son armoire (OAO 711), exposés en salle 64 du musée.

Vallin, dessin de gaine, période expressive 1902-1908
Vallin, dessin de gaine, période expressive 1902-1908

Sans décor figuratif cette chambre doit sa beauté à l’utilisation d’un bois exotique particulièrement précieux : le padouk. Nos chevets, aux dimensions tout à fait inhabituelles, illustrent la période « expressive » d’Eugène Vallin. L’artiste simplifie ses lignes et se tourne vers la stylisation. Sur nos meubles, la « gaine de Vallin », l’une des grandes constantes de son art, fait la liaison entre le fronton et la porte vitrée. Elle est le théâtre d’un jeu de lignes où l’on imagine le motif végétal dans ses volutes moulurées (Descouturelle, image n°28, p. 97). Le lit et le reste du mobilier de cette chambre, sont bien plus que des instruments de repos. Comme l’écrit Frédéric Descouturelle dans sa monographie consacrée à l’artiste, ils sont « un formidable vaisseau voguant sur la mer des songes ».

Bien que contrairement à la tradition du musée d’Orsay qui voudrait que cette chambre à coucher ait été celle du philosophe Gaston Bachelard, comment ne pas conclure avec ses lignes rendant au travail du bois sa majesté, qui semblent écrites pour ce chef-d’œuvre des arts décoratifs français : "Dans ses fibres, le bois garde toujours le souvenir de sa vigueur verticale, et l’on ne lutte pas sans habileté contre le sens du bois, contre ses fibres. Aussi, pour certains psychismes, le bois est une sorte de cinquième élément – de cinquième matière –, et il n’est pas rare, par exemple, de rencontrer, dans les philosophies orientales, le bois au rang des éléments fondamentaux". (L’Air et les Songes, 1943).
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