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Des grands embrasements naissent de petites étincelles

Samedi 17 avril 2021 à 07h

Cette semaine, Baptiste nous fait parvenir la photographie d’une estampe. Philippe Rouillac, notre commissaire-priseur, partage son avis.



L’œuvre encadrée présentée par Baptiste est une estampe tirée d’un ouvrage qui a eu un certain succès sous le Premier Empire. Toutefois, avant d’envisager son sujet, il faut préalablement comprendre la nature de cette image.
Cette gravure est à l’origine une aquatinte. C’est un procédé qui permet de restituer le motif à la manière d’un lavis, très la mode à la fin du XVIIIe siècle en France. À la différence d’un dessin ou d’une huile sur toile, l’aquatinte permet la reproduction en série d’une image. Une fine résine saupoudrée sur une plaque chauffée, gravée et passée dans un bain d’acide permet de réaliser une matrice qui fonctionne comme un tampon. En pressant les feuilles par-dessus, on reproduit le dessin presque à l’infini. L’exemplaire de Baptiste a ensuite été coloré, probablement à l’aquarelle. Il n’est pas possible d’avoir de certitude sur la technique sans pouvoir expertiser l’œuvre de nos propres yeux. Cette image ayant eu du succès, il peut également s’agir d’une reproduction plus moderne, datant de la fin du XIXe de type offset.

Des recherches nous ont permis de découvrir l’origine exacte de cette estampe. Il s’agit de l’illustration page 397 d’un ouvrage publié en 1808. Il a pour titre « Tableau historique et pittoresque de Paris » et vous pouvez encore le consulter sur rendez-vous à la bibliothèque nationale de France, rue Richelieu à Paris ! Il est l’œuvre d’un certain Jacques-Maximilien Benjamin Binsee de Saint-Victor. Poète et archéologue, il publie au début du XIXe siècle recueils et livres historiques avant d’être emprisonné pour conspiration royaliste. Si la bibliothèque nationale référence bien ses ouvrages, celui dont la gravure de Baptiste est tirée, ne permet pourtant pas d’identifier l’auteur du dessin original.

L’intérêt de cette œuvre réside dans le lien qui unit, le lieu, la date et la biographie même de l’auteur du livre. Le Palais Royal, situé au nord du palais du Louvre est à l’origine celui du cardinal de Richelieu. Construit en 1628 et offert à Louis XIII en 1636, il est un haut lieu historique, siège de nombreux événements de l’histoire de France. La gravure de Baptiste est datée de 1789. Deux jours avant la prise de la Bastille, le 12 juillet, un événement d’une importance capitale se produit à l’endroit représenté. Camille Desmoulins y soulève la foule - qui prend comme signe de ralliement les feuilles des arbres du jardin, portées comme cocardes - après le renvoi de Necker, un financier très « proche » du peuple. La cavalerie royale charge alors la foule. Deux jours plus tard les parisiens prennent la Bastille en représailles.
Le Palais Royal, populaire pour ses jeux, ses cafés, ses « filles de mauvaise vie » (Balzac), est présenté dans l’œuvre de Saint-Victor pour sa parfaite harmonie. Pensée par l’architecte Jacques Lemercier (1585-1654), favori de Louis XIII et Louis XIV, la galerie à colonnes du palais de Richelieu apparaît dans l’estampe de notre lecteur dans toute sa symétrie. Ses arcatures temporaires rappellent le cirque qui se trouvait en son centre à l’époque. Comme notre citation introductive du cardinal de Richelieu l’annonçait, le Palais Royal en 1789 semble prêt à être le décor de toutes les intrigues.
On peut estimer cette estampe entre 30 et 50 euros. Bien plus s’il s’agissait de l’ouvrage complet avec toutes ses illustrations. Des mousquetaires de Richelieu aux colonnes de Buren, le Palais Royal raconte une histoire de la France.
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