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Pleins feux sur un lustre

Samedi 10 avril 2021 à 07h

Cette semaine, Pierre nous fait parvenir la photographie d’un lustre. Aymeric Rouillac, notre commissaire-priseur, partage son avis.



Ce fidèle lecteur de la Nouvelle République, nous présente ce lustre comme un modèle Louis XIV (ou 14 pour les plus modernes, à l’instar des conservateurs du musée Carnavalet à Paris). Or il fait erreur. L’antiquité inspire évidemment les artistes et artisans d’art sous le règne du roi Soleil. André-Charles Boulle en est un bon exemple lorsqu’il livre le lustre à la Renommée aujourd’hui conservé au Musée du Louvre. Une figure ailée sonnant la trompe est assise sur le globe terrestre. Des feuilles d’acanthe, utilisées notamment dans l’ornementation des temples grecs ou romains, comme la colonne de celui d’Apollon à Bassae (vers 450 à 420 av. J.-C), se retrouvent dans le décor. Cependant, le lustre de Pierre offre une ornementation plus sobre que les exemples du premier quart du XVIIIe siècle. En ce sens, il témoigne des importantes découvertes archéologiques réalisées sous Louis XV puis Louis XVI. Les fouilles du temple d’Herculanum en 1738 anticipent ce renouvellement. À partir de cette période, l’antiquité n’est plus fantasmée. Elle est étudiée pour être transcrite directement dans les arts et tout le mobilier. Le lustre de notre lecteur le démontre avec ses rangs de perles, ses feuilles d’eau sur le fût en forme de pot à feu ou ses feuilles stylisées sur les six bras de lumière.

Ce lustre a-t-il été produit au XVIIIe siècle ? À en croire l’éclat de la dorure avec un éclat impeccable sans trace de patine, il est à l’évidence le résultat d’une facture postérieure au style qu’il pastiche. Il n’empêche qu’il se présente comme un objet de qualité. Au regard de tous ses caractéristiques, nous pourrions l’attribuer à la maison Gau qui produit des modèles similaires, sinon identiques. Fondée en 1860 et toujours en activité aujourd’hui après six générations, cette manufacture de bronze d’ameublement s’illustre dans la reproduction de pièces anciennes, en plus de participer à la restauration d’objets en bronze doré. Elle travaille ainsi pour les musées ou les monuments publics. La Sainte-Chapelle de Paris ou la bibliothèque Sainte-Geneviève profitent de lustres et lampes refacturées d’après les originaux.

Le goût pour l’imitation des styles anciens durant la seconde moitié du XIXe siècle a probablement participé au lancement de l’entreprise. L’impératrice Eugénie – grande admiratrice de Marie-Antoinette – encourage cette mode par ses achats et la restauration de l’intérieur du château de Saint-Cloud. Là, des meubles du XVIIIe siècle comme ceux de Jean-Henri Riesener, l’ébéniste de Marie-Antoinette, côtoient des recréations contemporaines dans le goût Louis XVI ou Marie-Antoinette impératrice. Aujourd’hui, le succès de la maison Gau est aussi dû à la restauration et la recréation du mobilier ancien. Comme la majorité des restaurateurs du patrimoine, elle s’éloigne de la pensée de Viollet-le-Duc. Il écrit que « restaurer un édifice, ce n’est pas l’entretenir, le réparer ou le refaire, c’est le rétablir dans un état complet qui peut n’avoir jamais existé à un moment donné ». Tout un débat qui conduit à sauvegarder les restaurations de Viollet-le-Duc, car étant des reliques d’une doctrine de l’histoire de la conservation des monuments. La flèche de Notre-Dame de Paris en est un exemple.

L’estimation du lustre de Pierre pose question. Un exemplaire neuf est effectivement très coûteux. Mais aux enchères, nous pourrions donner une valeur entre 200 et 400 €.
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