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Un récipient qui ne prendra pas la mouche

Samedi 27 mars 2021 à 07h

Cette semaine, José de Salbris, nous fait parvenir la photographie d’un objet devenu rare.
Philippe Rouillac, notre commissaire-priseur, partage son avis.



Les plus jeunes de nos lecteurs se demandent probablement quelle peut être la fonction de ce grand vase couvert. L’objet de José prend la forme d’un tonneau en céramique qui s’affine en partie basse. Il est coiffé d’un couvercle muni d’un gros fretel, c’est le nom que l’on donne au bouton de préhension. En bordure inférieure, un large trou nous interroge, on peut supposer qu’il sert à accueillir un bouchon ou un robinet. Ce récipient est de couleur crème foncée, ou blanc cassé tirant sur le marron. Le décor est pour sa part d’une blancheur très nette. On distingue sur le couvercle des fleurs apposées comme des pastilles. La panse présente des rinceaux et guirlandes, au centre, on identifie avec difficultés un blason. À la droite d’un écu, un cheval cornu, à sa gauche, probablement un lion. On ne s’y trompe pas, il s’agit à coup sûr des armes de la couronne anglaise. En effet, les célèbres armoiries royales du Royaume-Uni, dont la devise est « dieu et mon droit », sont supportées par un lion et une licorne. Depuis Richard I Cœur de Lion Plantagenêt, le lion représente l’Angleterre. La licorne, équidé mythique qui préfère mourir que d’être asservi reflète l’âme de l’Écosse. La réunion de ces deux animaux symbolise l’union entre les deux couronnes à l’origine du Royaume-Uni. Nous sommes donc heureux de découvrir cette iconographie sur l’objet de José car elle nous permet de le situer géographiquement. Aussi, le caractère britannique de ce récipient nous laisse présager de sa composition. Sans pouvoir la toucher, l’expertise ne se faisant pas uniquement avec l’œil, il est en général compliqué de connaître la nature exacte d’une terre. Toutefois, compte tenu de sa provenance supposée et son aspect mat, on peut parier qu’il s’agit d’un grès. Le grès, ou grès cérame, est une terre glaise presque vitrifiée, cuite à plus de 1200°, ce qui lui confère une grande dureté et une grande résistance. Les anglais s’en font une spécialité dès le milieu du XVIIIe siècle. Josiah Wedgwood, crée une entreprisse qui devient célèbre dans le monde entier, combinant inspiration antique et innovations industrielles. Son « jasperware », une patte proche du grès et du biscuit, laisse apparaître le décor en négatif, blanc sur fond coloré. Si le récipient de José n’est certainement pas issu de cette manufacture, on sent bien l’influence de cette dernière sur le décor de notre objet.

La matière et l’origine géographique de ce vase couvert révélées, il faut maintenant en découvrir la fonction et l’âge présumé.
Au début du siècle dernier, il est habituel de produire son propre vinaigre. On utilise alors un fût en terre ou en bois dans lequel on fait fermenter du vin avec une « mère » : une colonie de bactéries acétiques. Une dizaine de semaines suffisent à obtenir les premières gouttes de ce merveilleux condiment, que l’on tire avec le robinet manquant. L’or noir de Modène, le vinaigre balsamique, peut dans certains cas être maturé 150 ans… Il y a vinaigre et vinaigre italien.

Le vinaigrier de José est typique des importations venues d’Angleterre du début du XXe siècle. On retrouve sur internet des modèles du même genre vendus autour de 150 euros par des brocanteurs. Bien employé, cet objet devenu rare donnera à vos salades et autres asperges une touche d’acidité, façon humour à l’anglaise. Notre époque s’y prête moins, mais en plus d’être un excellent condiment le vinaigre est aussi un très bon conservateur alimentaire, qui fait fuir les parasites… On n’attrape pas les mouches avec du vinaigre !
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