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Quand le Japon faisait fantasmer les Européens

Samedi 20 mars 2021 à 07h

Cette semaine, Hervé, nous fait parvenir la photographie d’un plat en porcelaine japonaise. Philippe Rouillac, notre commissaire-priseur, nous donne son avis.



« Ce n’est plus une mode, c’est de l’engouement, c’est de la folie ». Tels sont les mots de la critique européenne à la fin du XIXe siècle, au sujet du goût des occidentaux pour les œuvres du pays du Soleil levant. Cette période est marquée par la réouverture du Japon au monde en général et au vieux continent en particulier, après une politique d’isolement de près de trois siècles. Au XVIIe siècle après une période de fructueux commerce avec l’Europe où les produits de l’Occident s’échangent en contrepartie des fruits du Japon, de nombreuses idées anti-européennes s’élèvent notamment contre les missionnaires catholiques qui s’efforcent d’évangéliser la péninsule. Pour empêcher la chose, trois mesures se distinguent de l’édit Sakoku de 1635 : 1. Les japonais doivent rester au Japon et gare à la vie de celui qui tente de s’en échapper, 2. le catholicisme est interdit et 3. des restrictions commerciales s’imposent avec l’application de quotas. La réouverture amorcée en 1858 par le commodore Perry se présente alors comme un événement international. À partir de cette date, les estampes et les porcelaines envahissent le marché français, et d’autant depuis l’organisation de l’Exposition universelle de 1867.

Cette mode encourage alors les japonais à produire des objets destinés à l’exportation à l’instar du plat en porcelaine de Satsuma de la collection d’Hervé. Satsuma est un grand foyer de la production de céramiques depuis le XVIe siècle. Les pièces anciennes sont généralement dépourvues de riches décors et ont plutôt une vocation utilitaire. Mais ceci change au XIXe siècle en s’orientant vers un nouveau type, caractéristique de l’époque Meiji (1868-1912). Avec le décor dit nishikide, l’ornementation commence à prendre le pas sur la fonction. Les objets produits se caractérisent par un fond or sur un corps ivoire finement craquelé. Les personnages sont nombreux et les références à la culture Japonaise plus que jamais présentes. Temples, dignitaires en réunion, cérémonie du thé, sujets d’inspiration littéraire sont convoqués pour participer à l’imaginaire japonais dont rêve les européens. Ici nous voyons une femme auréolée, couronnée et entourée de six sages. Mais il y a Satsuma et Satsuma ! Car une grande partie des objets que l’on qualifie régulièrement de porcelaine de Satsuma ne sont pas produits à Satsuma. D’autres villes du Japon, mais aussi de Chine, se lancent dans la production dès la fin du XIXe siècle et encore aujourd’hui. Et pour cause les artisans voire les manufacturiers sentent les multiples opportunités commerciales. La qualité autrefois atteinte diminue fortement. Les pièces sont ainsi qualifiées de « criardes », « surpeuplées » voire « néfastes » pour « devenir la trahison de la tradition du Japon ».

Produite en série, on comprend donc aisément que le plat d’Hervé n’est pas une pièce de collection recherchée par les amateurs. Cela explique par ailleurs le nombre important de pièces présentées en vente aux enchères. En raison de la facture modeste, nous pouvons l’estimer entre 30 et 40 euros. Valeur raisonnable, mais il n’y a pas de prix pour accéder au fantasme japonais, et pas seulement pour les estampes érotiques : mais aucune scène de ce genre sur ce plat. !

(Pour les amateurs d’arts d’Extrême-Orient, n’hésitez pas à venir découvrir l’exposition que nous organisons lundi et mardi prochain à notre hôtel des ventes.)
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