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Une toile de Claude Monet sur le marché français des enchères

Vendredi 19 mars 2021

Le Point, Arthur Frydman

La maison Rouillac a dévoilé une belle découverte : une vue de Dieppe du père de l’impressionnisme, exécutée en 1882. Sa mise à prix ? Un million d’euros.

Gustav Klimt repart, Claude Monet arrive. Alors que le ministère de la Culture annonçait lundi la restitution d'une toile de l'Autrichien à une famille victime de la Shoah, une œuvre de Claude Monet (1840-1926) revient sur le sol français. Elle sera dispersée aux enchères le 6 juin prochain au château d'Artigny (Centre-Val de Loire), sous le marteau de l'étude Rouillac. « C'est une chance que le détenteur actuel du tableau, un Japonais, nous ait confié cette pièce. Monet est une figure majeure des impressionnistes français et il était important pour nous que le collectionneur fasse confiance à notre œil et que l'œuvre soit vendue en France. Cela dynamise le marché de l'art local », souligne le commissaire-priseur Aymeric Rouillac.

Pour cette vacation, la maison d'enchères – qui avait déjà adjugé en 1999 une vue d'Étretat du maître impressionniste pour la somme record de 16 millions de francs (3 250 000 euros) – a décidé de ne pas mettre d'estimation, mais une mise à prix symbolique d'un million d'euros. « Nous espérons évidemment que la peinture, en très bon état de conservation et de qualité muséale, soit achetée par une collectionneuse ou un collectionneur français…, mais la compétition est ouverte », admet le commissaire-priseur.

1882, une année où la vie de Monet bascule

L'artiste impressionniste exécute le tableau en février 1882. Il n'est dévoilé pour la première fois au public qu'en février 1940 à l'occasion du centenaire Claude Monet à la galerie André Weil à Paris. Avant cela, la toile était conservée par le peintre jusqu'à sa mort puis par sa famille. Par la suite, l'œuvre part aux États-Unis et y reste près d'un demi-siècle, jusqu'au milieu des années 1990. Elle fut notamment exposée à Dallas, au Museum of Modern Art (MoMA) de New York et au LACMA de Los Angeles lors de l'exposition Claude Monet, Saisons et instants, en 1960. « Elle n'apparaît sur le marché de l'art que très tardivement. À la fin du XXe siècle, dans une vente aux enchères en 1997. Elle rejoindra les collections d'un amateur suisse puis japonais. La provenance est donc sûre et tracée, un gage de sécurité pour les futurs acheteurs. Surtout, notre toile figure au catalogue raisonné de Claude Monet établi par le marchand d'art Daniel Wildenstein », poursuit Aymeric Rouillac.

Au début des années 1880, Claude Monet, la quarantaine, déprime. « Cette période fut très compliquée pour le peintre, en pleine crise financière, n'ayant plus le sou, outre quelques risettes par-ci par-là, et personnelle, son épouse Camille étant décédée quelques années auparavant », commente Me Rouillac. En effet, l'artiste est poursuivi par ses créanciers et s'acoquine avec la femme de son mécène. Un comportement intolérable pour l'époque qui le fait fuir à Dieppe, où il avait passé de nombreux étés lorsqu'il était enfant.

Comme beaucoup de peintres, Monet pose donc son chevalet sur la côte d'Albâtre afin d'y fixer sa lumière changeante. Alors qu'il loge à l'Hôtel Victoria, il réalise seulement deux vues. Une du port, aujourd'hui conservée à Memphis et une vue générale de la ville, la toile mise à l'encan prochainement. « Une œuvre dans laquelle apparaît une synthèse de la leçon impressionniste. Un tableau de plein air où l'on distingue les églises et leurs clochers et en arrière-plan, le port dans la brume. Les coups de pinceau brossés sont visibles et Monet joue avec des dégradés de couleurs. La touche est fluide et vive, on sent le mouvement », décrypte le commissaire-priseur.

« Néanmoins, le résultat ne correspond pas à ce qu'il recherche. Le peintre veut se retrouver seul, face aux éléments et face à la nature en peignant ses fameux bords de mer. Il ne fera quasiment plus de vues de ville, d'où la rareté de ce tableau. Il faudra attendre son voyage à Londres et ses grandes vues du parlement anglais pour que Monet revienne à ce corpus d'œuvres », enchérit Aymeric Rouillac. Après ce séjour, les affaires repartent pour le peintre, qui vend de nombreuses peintures grâce au marchand Paul Durand-Ruel – qui défend l'artiste depuis plus de dix ans – qui achète presque tous les tableaux de Normandie de 1882, qu'il exposera lors de l'exposition personnelle qu'il consacre à Monet au printemps suivant, période au cours de laquelle il s'installe à Giverny.

Un événement inédit pour le marché de l'art français

« Monet est un des plus grands peintres français. mais il ne se vend pas en France », regrette Aymeric Rouillac. Que ça soit aux enchères ou dans les galeries, le marché français est, en effet, asséché d'œuvres du peintre. Depuis 2010, 450 toiles du maître ont été vendues dans le monde. Parmi elles, 14 seulement l'ont été en France. La vente de ce tableau est donc un événement inédit pour le marché de l'art français. « Généralement, les collectionneurs doivent se déplacer aux États-Unis ou en Angleterre, notamment à Londres, pour trouver ce type de toiles », conclut le commissaire-priseur en charge de la vacation.

En 2019, c'est une toile de la série des Meules qui a été adjugée chez Sotheby's à New York pour environ 98,7 millions d'euros. Un record pour Claude Monet sous le marteau et pour un tableau de style impressionniste. Le précédent record était détenu par la maison de ventes rivale, Christie's, qui, en 2018, avait vendu les Nymphéas en fleur pour près de 80 millions d'euros.
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