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Depuis des siècles, à Tavers (Loiret), le trésor gaulois était caché dans le pré, par Toutatis !

Vendredi 18 décembre 2020

La Montagne, Florent Buisson

Il est peut-être resté enfoui, sous trente petits centimètres de terre, pendant 2.500 ans. En 2012, un assortiment d’armes et de bijoux gaulois est mis au jour, dans le champ d’un agriculteur, près d’Orléans. Récit de la rocambolesque découverte d’un trésor national.

Ghislaine et René ont bien cru que le ciel allait leur tomber sur la tête (*). Ou bien qu’ils allaient subir les foudres d’un État vengeur, façon divinité romaine, ce qui, vu de leur petite ferme nichée dans un hameau, près d’Orléans, fait déjà bien assez peur.

Mais l’histoire a finalement souri à ce paisible couple d’agriculteurs retraités.

Ce 4 mai 2019, l’incroyable découverte mise au jour, sept ans plus tôt, dans leur champ, est finalement vendue sans anicroche, après une série de rebondissements que les scénaristes d’Astérix n’auraient pas reniée…

Retour fin 2011, et c’est René qui rembobine. « Deux passionnés d’archéologie locale viennent me voir. Ils voulaient passer mon champ, situé sur la commune de Tavers (et connu pour recouvrir les vestiges d’une villa romaine), au détecteur de métaux. En février 2012, ils sont tombés sur un ensemble d’objets, dans trente centimètres de terre… »

Prometteuse découverte qui va vite devenir explosive.

Le couple de septuagénaires est convoqué manu militari par la Direction régionale des affaires culturelles (Drac), où, en substance, on leur fait comprendre qu’ils viennent de mettre au jour un « trésor inestimable » et que la découverte doit rester secrète. Mais pas un mot sur sa valeur, ni sur l’origine des fameux objets. « Ils seront expertisés », leur assure-­t-­on. Puis un autre rendez­-vous est fixé avec le couple, courant 2012. « Ils nous disent alors que les objets ne seront pas restitués avant cinq ans… »

La chasse au trésor...

À l’été 2014, une opération de fouilles archéologiques est menée par un universitaire toulousain, sur le site. Les recherches sont fructueuses, quelques autres pièces sont découvertes, l’ensemble resitué dans son contexte historique
et le tout daté précisément. L’assortiment découvert en 2012 (des colliers, bracelets, petites armes) date de la seconde moitié du VIe siècle avant Jésus-Christ. En pleine Gaule, bien avant les Romains.

Mais le couple d’agriculteurs n’en sait rien du tout. Ils l’apprendront sitôt le rapport des scientifiques publié, en 2015. Et il faudra attendre janvier 2018 pour que les deux retraités soient reçus de nouveau à la Drac, à Orléans. On leur explique que les fameux objets n’ont pas été expertisés. Ils insistent. « Voyez ça avec un brocanteur ! », finit-­on par leur répondre, dans un flagrant mépris. Offensé, le couple repart avec les objets, tape aux portes du Conseil régional, de la ville d’Orléans, sans succès. Jusqu’à un coup de téléphone du musée d’archéologie nationale de Saint­-Germain­-en­-Laye. Un agent fait le déplacement puis repart avec les pièces, pour les faire expertiser.

Le couple se dit méprisé par l'administration

Échaudé, le couple indique alors qu’il procédera aussi à une expertise, de son côté, et finit par entrer en contact avec Philippe et Aymeric Rouillac, commissaires-priseurs dans le Loir-et-­Cher et experts nationaux des enchères. Aymeric Rouillac les reçoit, avec égard, pendant une demi-­journée. Il vendra bien leur trésor. « On a travaillé toute notre vie pour avoir ce que l’on a, et, là, ça nous tombe tout cuit… », s’excuse presque l’agricultrice, minée par un feuilleton fou, mais pesant.

Elle n’assistera d’ailleurs pas à la vente aux enchères du 4 mai 2019, au château de Meung-­sur-­Loire, où la mise à prix a été fixée à 50.000 euros, avec la promesse d’une flambée certaine… Quoi qu’il arrive, les objets resteront en France. Le 6 avril 2019, sentant poindre la menace, le ministère de la Culture a classé l’ensemble « trésor national », empêchant leur sortie définitive du territoire. Un classement exceptionnel qui ne concerne qu’une poignée d’objets, chaque année, en France. Mais si l’État souhaite préempter le trésor, il doit s’aligner sur l’enchère la plus importante…

Enfin, en théorie. Car la découverte et sa mise aux enchères publiques sont vécues comme un sacrilège par l’administration et la corporation des archéologues, qui s’en prennent aux deux commissaires-priseurs, rendus coupables de vendre un trésor national.

Les Rouillac, fils et père, avec une partie du trésor.

Insultés sur les réseaux sociaux, les deux professionnels portent plainte. D’ordinaire si prolixes, maniant le verbe aussi bien que le marteau, les Rouillac père et fils, plus druides qu’empereurs despotes, lisent docilement un communiqué de presse, le 4 mai 2019, jour de la fameuse vente aux enchères, après que des acheteurs de Russie et d’Arabie Saoudite se sont pourtant renseignés auprès d’eux.

« Devant le fort intérêt suscité par les bijoux du trésor de Tavers, auprès de collectionneurs privés, et, à terme de musées étrangers, et face aux pressions inédites et à l’émoi soulevé par sa vente aux enchères, […], la maison Rouillac a favorisé son acquisition directement au profit du musée archéologique national de Saint-Germain-en-Laye ».

L’affaire s’est, en réalité, dénouée quelques jours plus tôt, à Amboise, en Indre-et-Loire. Le ministre de la Culture, Franck Riester, qui a eu vent de l’affaire, est alors en visite. Philippe Rouillac est aussi présent et, entre deux amabilités, les deux hommes tombent d’accord. « Ainsi, dans l’intérêt de tous, non seulement le trésor de Tavers ne quittera pas la France, mais, en plus, il rejoindra les collections nationales de ces fabuleux trésors », ajoutent les Rouillac.

Les pièces, bijoux, armes, etc., découvertes en 2012. Photo S.De Grandis, université de Bourgogne.

Trois chercheurs et universitaires, Pierre-­Yves Milcent, Christian Cribellier et Arthur Tramon, l’ont étudié de très près, ce trésor. Dans un rapport de plus de 200 pages, publié en 2015, ils ont conclu au caractère exceptionnel de l’ensemble. « Le dépôt comporte 65 éléments, essentiellement en alliage cuivreux, mais aussi en fer pour quatre d’entre eux ; cette association des deux métaux est exceptionnelle dans ce contexte. »

Mais de quoi s’agit-­il, alors ?

« Les objets du trésor datent du Hallstatt moyen, qui correspond aux environs de 625 à 510 avant Jésus-­Christ, soit le Premier âge du fer, détaillent Philippe et Aymeric Rouillac. Ces 65 éléments (très bien conservés) sont composés de cinquante-huit pièces en alliage cuivre et sept en fer et plomb. Les objets de parures féminines sont les plus nombreux. Cinq colliers torques entiers et cinq autres fragmentaires, dix-huit bracelets dont six entiers, quatre anneaux de chevilles ou bracelets fragmentaires, ou encore une épingle à col de cygne sont notamment inventoriés. Trois armes sont, par ailleurs, recensées, ainsi qu’un outil spécialisé, un fragment de vaisselle, des objets miniatures et polyvalents ».

Et d’ajouter, pour contextualiser, que l’ensemble a pu être enterré là, sous 30 centimètres, comme un trésor qu’il aurait été facile de retrouver. En théorie. « Ces objets au style ligérien matérialisent l’art de vivre de l’élite gauloise sur les bords de Loire au Premier âge du fer », ajoutent les experts.

Rappelons que si le trésor avait été découvert après 2016, il serait devenu propriété de l’État. Depuis une loi de la même année, toute découverte archéologique, même sur un terrain privé, est « présumée appartenir à l’État ».

Il lui reviendra quand même, au final. « On ne peut qu’être satisfait que les objets restent dans une collection », estimait ainsi, en 2019, Pierre-Yves Milcent, l’archéologue et maître de conférence de l’université de Toulouse évoqué précédemment, auprès de l’AFP.

« Pour nous autres archéologues, ces objets sont exceptionnels d’un point de vue scientifique, détaille encore l’auteur d’une étude scientifique sur le sujet. Ils nous permettent de documenter une société […], leur économie du métal, la manière dont ils utilisaient ces objets pour se parer, ce que cela veut dire en terme de rang et d’organisation sociale ».

Dans cette belle histoire qui aurait pu mal tourner, tout le monde a gagné, ou plutôt, personne n’a perdu. Le trésor gaulois demeure en France, dans un musée national et les commissaires-priseurs ont lavé leur honneur.

Certes, René et Ghislaine n’ont pas organisé de banquet dans leur ferme, pour fêter une enchère millionnaire, au son du barde et autour de sangliers rôtis, façon Uderzo et Goscinny. Mais ils ont reçu 50.000 €, en août 2019, sur la base de la mise à prix. L’équivalent de plusieurs années de retraite. C’est aussi le prix de la tranquillité retrouvée. Leur trésor à eux.

Florent Buisson

(*) Les prénoms ont été modifiés.
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