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Un bain dans l’histoire de l’Art…de l’eau au champagne !

Samedi 21 novembre 2020 à 07h

Cette semaine, une lectrice de Droué nous fait parvenir la photographie d’un récipient en zinc. Me Philippe Rouillac, notre commissaire-priseur, nous donne son avis.



Une fois n’est pas coutume nos chers lecteurs ne nous soumettent pas un objet d’art mais un objet domestique. Cet ustensile est à la fois d’actualité - tueur de virus - et témoin d’habitudes oubliées. Grande cuve en zinc aux bords retournés, portant une marque « déposé G frères à Paris », elle est accompagnée d’un plus petit récipient ayant vocation à chauffer l’eau. Le zinc est un matériau souple qui se prête au façonnage et au pliage, son oxydation naturelle lui confère une grande pérennité. En effet, cette cuve qui date probablement de la seconde moitié du XIXe nous semble relativement bien conservée. Il s’agit d’une baignoire, ou plutôt d’un tub, nom demeuré dans la langue grâce à la peinture.

Jusqu’au XVIIIe siècle les français se lavent peu, très peu. Selon la légende Louis XIV n’a pris qu’un bain dans sa vie. L’eau transmet des maladies, voilà ce que croient les médecins du roi, et c’est à l’époque en partie vraie. Chambord comme Versailles ne comptent aucune salle de bains à proprement parler…Pourtant vers 1750, vantées par le philosophe Jean-Jacques Rousseau de nouvelles normes de propreté apparaissent. On prête même à certains membres de la cour quelques pratiques hédonistes : bains au lait et à la framboise, mais cela reste marginal. Sous la Restauration, les baignoires finissent par équiper les hôtels particuliers et font naître de nouvelles habitudes. Évidemment sans eau courante, il faut remplir les cuves avec des seaux d’eau froide que l’on chauffe dans des citernes. Le raccordement des habitations au tout-à-l’égout, les grands travaux du Baron Haussmann vont progressivement rendre universelle la pratique du bain jusqu’à faire oublier l’objet présenté par notre lectrice. Le tub disparait lorsque la baignoire directement raccordée aux égouts se démocratise.
L’histoire de l’Art et de la littérature du XIXe siècle est pleine d’images et d’anecdotes mettant en scène des hommes et des femmes allongés dans cette cuve d’intimité. Immortalisé en 1793 par David, le peintre de Napoléon Ier, la mort de Marat assassiné par Charlotte Corday est indissociable de la baignoire où la scène prend place. Recouverte d’un drap vert celle du journaliste de la Terreur ne peut être rapprochée du tub de notre lectrice.

Deux génies de la peinture, l’impressionniste Edgard Degas et le nabi Pierre Bonnard vont réaliser des chefs d’œuvres figurant des tubs très semblables à celui présenté. Un pastel de Degas conservé au musée d’Orsay présente une jeune femme nettoyant sa jambe jetée par-dessus sa baignoire. Les artistes réinterprètent les grands sujets classiques. La Suzanne et les vieillards biblique, le bain de Diane antique, se métamorphosent dans des scènes contemporaines inscrites dans l’époque grâce à leurs cuves de zinc. Bonnard est probablement le peintre le plus prolifique sur ce nouveau thème, ayant photographié, peint et dessiné sa Marthe adorée. Le corps féminin, parfois pudique parfois voluptueux, se reflète de lumière sur la tôle. Miroir de l’eau, lumière et miroitements du métal, Bonnard transcende une activité triviale pour déployer l’immensité de son art. Suzanne Valadon, peintre féminin mère d’Utrillo a représenté pareillement maintes scènes de femmes et fillettes au tub.

Il est difficile d’estimer la cuve de notre lectrice, on propose 100 euros pour le rêve. Car combien de tubs ont été « déviés » pour servir d’abreuvoir aux bestiaux...À l’heure des baignoires à remous, on ne peut s’empêcher de compter une dernière anecdote. La Païva, célèbre marquise courtisane sous Napoléon III, dans son fastueux hôtel particulier au cœur aux Champs Élysées, avec son magnifique escalier en onyx - avait fait installer un troisième robinet dans sa salle de bain. Pour y faire couler… du champagne ! Ivresse d’amour et ivresse de bulles : on sait trop, que quand on aime on ne compte pas !
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