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Pour 500 000 euros, le Malouin s'adjuge la récompense d'un corsaire de Louis XIV à la barbe des Anglais

Mercredi 07 octobre 2020

France 3 Bretagne, Catherine Bazille

Le malouin Jacky Lorant s'est adjugé le médaillon avec sa fortune personnelle

C'est un bijou exceptionnel que Louis XIV avait offert au corsaire malouin Alain Porée, pour le récompenser de ses faits d'armes contre les Anglais. Vendu aux enchères ce dimanche 4 octobre, il restera en Bretagne grâce à un autre Malouin, l'entrepreneur Jacky Lorant, corsaire à sa façon.

Ce dimanche 4 octobre, une vente aux enchères avait lieu au château d'Artigny en Indre-et-Loire. Les organisateurs, le commissaire-priseur Aymeric Rouillac et son père sont des habitués de ces ventes d'objets d'art rarissimes. Au catalogue de cette édition une boite à portrait de Louis XIV et un vase chinois de l’époque Qianlong se disputent la vedette.

Une boite à portrait? Il s'agit en fait d'une sorte de médaillon qui ne s'ouvre pas. À l'époque les grands de ce monde offraient leur portrait dans de luxueuses boîtes en cuir. Louis XIV comme bien d'autres avant lui depuis les Césars romains, jouait sur son image pour illustrer sa puissance.

Le portrait du roi et ses 20 diamants
Le portrait du roi et ses 20 diamants

Côté face, le portrait à l'Antique de Louis XIV, c'est à dire un profil, épaules drapées et menton haut, comme incrusté dans du verre. En réalité une technique toute nouvelle en 1695: le camée sculpté dans la pâte céramique prends un éclat proche du sulfure d'argent au contact du verre en fusion. Et tout autour du Roi Soleil, vingt diamants taillés en rose lui font une couronne de lumière.

Au revers du médaillon, des L entrelacés sur un fond d'émail bleu. Les archives du ministère des affaires étrangères gardent la trace écrite de ce présent royal au corsaire Alain Porée.

Le chiffre émaillé de Louis XIV
Le chiffre émaillé de Louis XIV

500.000 euros pour un médaillon

Les diamants, Louis XIV en raffolait et savait aussi les utiliser pour sa "communication". Le Roi-Soleil a ainsi récompensé ses plus fidèles sujets en commandant pour eux près de 400 bijoux de ce genre aux artisans les plus habiles et les plus en pointe de son époque (Jean-Frédéric Bruckmann et Pierre ou Laurent Tessier selon la documentation du commissaire-priseur).

Beaucoup de diamants ont été dessertis pendant la Révolution sur ces bijoux; seul trois d'entre eux ont survécu, intacts, jusqu'à nos jours. Alors les enchères lancées à 50.000 euros ont rapidement grimpées avec des offres venues d'Anglais ou d'Américains. Contre toute attente, c'est finalement un entrepreneur malouin, Jacky Lorant, qui l'a emporté pour 500.000 euros (620.000 avec les frais).

"C'est un record mondial", a estimé à l'AFP le commissaire-priseur Aymeric Rouillac, selon lequel Yves Saint-Laurent "en avait acquis un 481.000 euros qui est maintenant exposé au Louvre". Le troisième médaillon est conservé dans un musée de Bologne, en Italie.

Un siècle avant Surcouf

Mais qui donc est Alain Porée? C'est un corsaire malouin qui, près d'un siècle avant Surcouf et sa fameuse prise du Kent, s'est couvert de gloire en défendant plusieurs fois Saint-Malo contre les Anglais. Né dans une famille d'illustres marins, son grand père était déjà au service du roi durant le siège de La Rochelle, Alain Porée (1665-1730), embarque dès 15 ans et commande son premier navire marchand pour Saint-Domingue à 21 ans. Mais c'est pendant la guerre contre la Ligue d’Augsbourg, de 1688 à 1697, que devenu corsaire (il n'a que 24 ans), il va se couvrir de gloire.

Cette guerre de neuf ans opposait alors le Roi Soleil à la moitié de l'Europe, notamment aux Anglais et Hollandais, fortes nations maritimes de l'époque. Mais les Malouins savent construire des bateaux rapides et manoeuvrant. Non seulement Alain Porée va capturer un imposant vaisseau de guerre anglais (le Dartmoor en février 1695) mais il va repartir plusieurs fois au combat et ramener à Saint-Malo d'autres navires Hollandais. Avec d'autres corsaires malouins, il va infliger de lourdes pertes aux Anglais et les contraindre à l’abandon sans pouvoir s’emparer de Saint-Malo. Pour avoir si vaillament contribué à la défense de Saint-Malo contre les Anglais, Louis XIV le récompense en lui envoyant son portrait orné de vingt diamants.

La course pour renflouer les finances du royaume

Faut-il rappeler que les victoires des corsaires malouins ne sont pas que militaires et désintéressées? En quatre ans Alain Porée a capturé 27 navires ennemis. Or pour être corsaires et se distinguer des pirates, les malouins étaient accrédités par une "lettre de marque" du roi qui les autorisait à "faire la course" c'est à dire poursuivre et s'emparer des bateaux de commerces ennemis et de leur cargaison. Ces captures qui enrichissaient l'armateur et l'équipage, mais surtout le roi qui se réservait les trois quarts des gains pour renflouer les finances du royaume de France.

Un coup de coeur

Né à Saint-Méloir-des-Ondes, comme le corsaire Alain Porée, Jacky Lorant est issu d'une famille modeste. Il a commencé à travailler à 14 ans dans la serrurerie, mais n'hésitera jamais à changer de cap pour évoluer dans les chantiers d'électricité puis à EDF. En 1990 lui et sa femme ils achètent et gèrent un hotel restaurant à Saint-Malo. 15 ans plus tard, il suit une formation sur l'énergie solaire et crée une entreprise d'installations photovoltaïques: Émeraude solaire. Malgré la période de crise que connait le marché des panneaux solaires en 2008, il survit et progresse jusqu'à compter 42 salariés. À 68 ans il revend son affaire et prend sa retraite.

Rien ne prédestinait l'industriel à s'offrir un objet d'art comme ce médaillon. Quand il en apprend l'existence tout va très vite: il se passionne pour cette histoire, se documente, et comprend l'importance de ce corsaire pour sa région natale.
Il décide avec sa femme de consacrer jusqu'à 500 000 euros aux enchères. Mais il préfère mener seul son bateau dans cette aventure.

On est parti en solo parce que deux capitaines à bord d'un bateau ça se passe mal
Jacky Lorant

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