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Un panneau inédit du XIVe siècle attribué à Jacopo di Cione en vente à Montbazon

Vendredi 02 octobre 2020

Interenchères, Diane Zorzi

Découvert lors d’un inventaire à Montpellier, un panneau inédit de Jacopo di Cione sera mis en vente le 4 octobre au Château d’Artigny à Montbazon et en live sur Interencheres. Estimé à plus de 20 000 euros, il témoigne d’une période charnière de l’histoire de l’art, à mi-chemin entre la tradition byzantine et la Renaissance.

Chaque année, le temps d’une vente, les Rouillac font ressurgir du passé des chefs-d’œuvre oubliés des plus grands maîtres de l’histoire de l’art. A l’occasion de la 32e édition de leur « garden party » annuelle, ces « chasseurs de trésors » présenteront le 4 octobre au Château d’Artigny à Montbazon et en live sur Interencheres, un panneau florentin inédit du XIVe siècle qui sommeillait sur les cimaises d’un hôtel particulier montpelliérain, depuis sa vente aux enchères autour de 1870. « Le propriétaire pensait qu’il s’agissait d’une icône grecque et nous avait contacté pour un tout autre tableau qu’il datait du XVIIe siècle français et qui s’est avéré bien moins exceptionnel que ce petit panneau de dévotion privée dont on doit vraisemblablement l’exécution à Jacopo di Cione », raconte le commissaire-priseur Jacques Farran.

Jacopo di Cione, un maître du Trecento florentin

Avec Agnolo Gaddi, Jacopo di Cione (ca. 1340-1398) est considéré par les historiens de l’art comme l’un des peintres les plus importants à Florence au cours du dernier tiers du XIVe siècle. L’artiste est en effet mentionné dans la première partie, dédiée aux maîtres du Trecento, des célèbres Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes de Giorgio Vasari qui lui consacre un chapitre entier, aux côtés de ses frères Andrea di Cione dit l’Orcagna, Matteo et Nardo di Cione. « L’art de cette période procède encore largement, non véritablement de Giotto, mais de celui de son principal élève, Bernardo Daddi. La peste qui emporte Daddi en 1348 profite aux frères Orcagna qui deviennent dès lors les peintres florentins les plus actifs. »

A partir de 1368, Jacopo, seul peintre survivant de sa fratrie, prend la direction de l’atelier et s’attelle à un immense Polyptyque du couronnement de la Vierge. Peinte en 1370-1371 pour l’autel majeur du chœur de l’église San Pier Maggiore, cette œuvre est la plus importante qui nous soit parvenue de l’artiste. « Ce polyptyque colossal, qui devait atteindre six mètres de hauteur, était divisé en quatre registres totalisant une vingtaine de panneaux peints, un format inusité dans la Florence de son temps. Il servait ainsi de toile de fond au couronnement des évêques de Florence jusqu’au XVIe siècle. Son ampleur, sa qualité, sa richesse et sa destination en font l’un des plus importants polyptiques italiens du XIVe siècle. »

Une Vierge à l’enfant en trône

Fresques, tableaux d’autel ou œuvres de dévotion privée, les travaux de Jacopo di Cione sont exclusivement religieux, traitant principalement de la vie du Christ ou de la Vierge. Ce petit panneau de dévotion dévoile ainsi une Vierge à l’enfant en trône, entre saint Jean-Baptiste, saint Pierre, saint Antoine, saint Antoine abbé et saint Antoine de Padoue. « La Vierge est la figure dominante de la piété médiévale, explique Jacques Farran. La variété est donc requise pour répondre à des commandes souvent identiques, tout en évitant la répétition d’un travail en série. » Ainsi, au Museo di Santo Croce à Florence, la Vierge se tient debout, portant l’Enfant dans ses bras ; à la National Gallery of Art de Washington, elle adopte une posture d’humilité, assise à même le sol et allongeant son fils sur ses genoux ; tandis qu’au Museum of Fine Arts de Budapest, elle est confortablement assise sur un trône, soutenant le Christ d’une seule main. « Notre tableau appartient à ce dernier type et présente de grandes similitudes avec la Vierge de Budapest : le geste de la main gauche de la Vierge venant se poser sur l’avant-bras du Christ qui lui touche le vêtement est exactement le symétrique de celui du tableau hongrois. »

L’enfance de la Renaissance

Cette interaction touchante de l’enfant Jésus avec sa mère témoigne d’un art à mi-chemin entre la tradition byzantine et la Renaissance. « Dans l’iconographie byzantine, la Vierge n’est pas de tendresse mais de Majesté : sévère et imposante, elle devient en Italie la Maesta. C’est une figure emblématique du début du XIVe siècle, dont Duccio a laissé les plus beaux exemples. Ici, en rupture avec la majesté froide de la représentation byzantine, le Christ enfant n’est pas campé à l’instar des autres personnages. Il attrape de sa main droite le voile de la Vierge, comme pour attirer son attention. A l’inverse des quatre saints, on peut parfaitement suivre son regard qui se plonge dans celui de sa mère. La Vierge, pour sa part, interpelle, elle nous regarde tout en retenant de sa main gauche le bras de son fils. Ainsi, si elle en héritière, cette œuvre n’est plus une icône mais une sainte conversation. L’humanité du Christ, thème central de la peinture italienne à venir, est déjà questionnée dans la peinture de Jacopo di Cione. »

De même, si des traditionnelles icônes byzantines demeurent le fond d’or et le rapport d’échelle donnant la primauté à la Madone, symbole de sa position dans la hiérarchie céleste, le panneau révèle une première tentative de perspective géométrique. « Le piédestal est construit à partir d’un point de fuite situé dans le manteau de la Vierge, légèrement déporté vers la gauche, précise le commissaire-priseur. Lorsque l’on sait que c’est à Florence que se développera autour de 1420 la perspective mathématique, véritable révolution optique qui marque dans les arts plastiques le début des Temps modernes, il est émouvant de noter que des prémices de ce tournant s’observent déjà dans la peinture du Trecento, car on est ici dans l’enfance de la Renaissance – avant l’adolescence incarnée par Masaccio et l’âge adulte des géants Léonard, Michel-Ange et Raphaël. »
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