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Les chefs-d’œuvre de la 32e garden party des Rouillac au Château d’Artigny

Lundi 28 septembre 2020

Interenchères, Diane Zorzi

Initialement prévue en juin dernier, la 32e édition de la très attendue « garden party » des Rouillac se tiendra finalement les 4 et 5 octobre au Château d’Artigny à Montbazon, près de Tours, et en live sur Interencheres. Comme chaque année, la vente regorge de chefs-d’œuvre. Plus de deux cents pièces, provenant de collections privées, seront présentées, dont un superbe vase chinois en porcelaine de l’époque Qianlong, un grand plat d’apparat de l’âge d’or de la faïence de Rouen et un rare exemplaire de l’Histoire naturelle des oiseaux de Buffon enluminé par Martinet. Décryptage.

Un vase de l’époque Qianlong

Richement orné, ce vase en porcelaine émaillée polychrome de forme grenade, symbole de prospérité et d’abondance, témoigne des plus belles heures de la civilisation chinoise. S’inspirant des grandes œuvres du passé tout en recourant à des techniques innovantes, il est caractéristique des chefs-d’œuvre qui furent exécutés tout au long du règne de l’Empereur Qianlong (1736-1795) qui, pour asseoir son pouvoir et sa légitimité au trône de la Chine en tant que souverain mandchou, fit appel aux plus brillants artisans de son époque, faisant des ateliers impériaux de Jingdezhen un haut lieu de la production de céramique en Chine au XVIIIe siècle.

De la panse au col, des rinceaux de fleurs de lotus ou de passion stylisées s’épanouissent. Sur chacune des quatre faces, un médaillon dévoile un couple de cailles ou de pies, perchées sur des rochers agrémentés de fleurs de pêches, de bambous célestes, de fleurs de prunier, de chrysanthèmes ou de pivoines. Ce décor dit « de fleurs et d’oiseaux » évoque la tradition de la peinture chinoise de l’Académie de Hanlin – « l’Académie du pinceau » -, fondée sous le règne de Huizong (1101-1125), un Empereur à la fois collectionneur, peintre, poète et calligraphe, qui appréciait les sujets naturalistes et poétiques, représentés de façon intimiste.

Les émaux de la famille rose dit fencai révèlent quant à eux l’attrait pour l’ « exotisme » des arts européens initié par l’Empereur Kangxi (1662-1722) qui créa au sein de la Cité interdite un atelier impérial, dirigé par le Jésuite Jean-Baptiste Gravereau et spécialisé dans la peinture d’émaux sur cuivre, technique bientôt adaptée au verre et à la céramique. « Ces différentes expérimentations vont permettre d’atteindre des teintes pastel veloutées, à la base du développement des émaux de la famille rose dit fencai, au sein des officines du palais et des fours de Jingdezhen, supervisés par Tang Ying (1682-1756) », détaillent les commissaires-priseurs.

Mêlant l’innovation à la tradition, ce vase, au décor raffiné et aux coloris harmonieux, témoigne du savoir-faire inégalé des artisans de l’époque Qianlong à qui l’on doit parmi les objets les plus somptueux de l’histoire de l’art. « Ce type d’objets était collectionné par les empereurs mandchous et ils leurs étaient aussi parfois offerts comme cadeaux d’anniversaire par des princes, des ministres ou de hauts fonctionnaires, en témoignage de leur loyauté. Ces présents symbolisaient souvent des messages par leur forme, via des rébus, des homophones, des symboles, des poèmes, des messages de bon augure, de bonheur, de longévité, de légendes ou de références historiques. » Des présents dont rêvent aujourd’hui nombre de collectionneurs qui devront compter entre 400 000 et 600 000 euros pour s’offrir cette pièce exceptionnelle, provenant d’une collection particulière de Touraine.


Chine – Epoque Qianlong (1736-1795). Petit vase en forme de grenade à quatre faces en porcelaine émaillée polychrome et or des émaux de la famille rose dit « fencai ». Estimation : 400 000 – 600 000 euros.

Une boîte à portrait offerte par Louis XIV à un corsaire malouin

Autre pièce phare de la vente, un cadeau, cette fois offert par Louis XIV lui-même : une boîte à portrait ornée des diamants de la couronne. Attribué à l’orfèvre d’origine suédoise Jean-Frédéric Bruckmann, cet objet exceptionnel, orné d’un profil du Roi Soleil à l’antique en émail moulé à la façon d’un camée, fut remis en novembre 1695 au corsaire malouin Alain Porée, en récompense de sa prise navale du vaisseau de guerre anglais, le Dartmoor. Conservé jusqu’alors dans sa famille, il est l’un des rares exemplaires connus à avoir conservé ses diamants d’origine. « Aujourd’hui, sur le nombre total recensé des boîtes à portrait offertes par Louis XIV, seuls trois exemplaires référencés conservent encore leurs diamants d’origine : celui du Louvre, du musée de Bologne et le nôtre, expliquent les commissaires-priseur. La richesse de ces montures concourt inexorablement à leur destruction. La vénalité des bénéficiaires participe en effet au démontage des diamants. Les pierres étaient ainsi souvent remontées sur de menus ouvrages d’orfèvrerie, à l’instar des tabatières. »

Le nombre ainsi que la taille des pierres étaient déterminés en fonction du rang de son destinataire ou de l’importance de la mission et du service rendu. Cette boîte est ainsi pourvue de vingt diamants taillés en rose, tous choisis par le Roi lui-même. « Notre boîte, qui a coûté à l’époque au moins 254 livres, peut sembler peu onéreuse en comparaison de celle du connétable de Castille (41 376 livres) ou des nombreuses boîtes offertes au duc de Malborough. Il n’en est rien dans l’absolu. A ce jour, cette boîte à portrait, estimée entre 60 000 et 80 000 euros, demeure un bijou de luxe dont la valeur réside aussi dans la qualité et l’intégrité de ses diamants sertis d’origine ».


Boîte à portrait de Louis XIV ornée des diamants de la couronne pour un corsaire malouin, 1695. En or et argent ornée d’un profil du Roi-Soleil à l’antique, en émail moulé à la façon d’un camée, et au dos de son chiffre émaillé. La monture ornée de vingt diamants taillés en rose, probablement des mines de Golconde. Bélière en or. Estimation : 60 000 – 80 000 euros.

Un plat d’apparat de l’âge d’or de la faïence de Rouen

Daté entre 1725 et 1730, ce grand plat d’apparat (56 cm de diamètre) est l’un des rares témoignages de l’âge d’or de la faïence de Rouen. Entre 1700 et 1740, à la demande de Louis XIV, la Cour abandonne peu à peu la vaisselle d’argent, privilégiant désormais la faïence dont la production atteint son apogée et rayonne dans toute l’Europe. Apparaît alors un décor original, dit « ocre niellé » et typiquement rouennais, fait de larges rinceaux noirs ou bleus, dessinés sur un fond ocre, évoquant l’effet obtenu par la marqueterie de cuivre des meubles de Pierre Gole, André-Charles Boulle ou Nicolas Sageot. « Sur quelques très rares faïences, dont notre plat, les couleurs sont inversées, la peinture de figures, armoiries ou rinceaux est exécutée en ocre sur fond bleu », précise l’expert Cyrille Froissart.

Un grand plat d’apparat, au décor identique mais à la composition inversée, figure au sein des prestigieuses collections du musée du Louvre. « Ces deux plats ont très probablement été réalisés en pendant l’un de l’autre. Le plat du musée du Louvre provient de la collection Albert Gérard qui le légua en 1900 au musée. » De provenance tout aussi prestigieuse, le plat de la vente Rouillac a quant à lui appartenu au baron James de Rothschild qui, s’il ne fut pas un collectionneur invétéré de faïences de Rouen, savait apprécier et repérer les œuvres d’exception. « Rarissime, spectaculaire, en bel état, superbement composé… », le plat avait d’ailleurs enregistré un prix record à 420 000 francs lors de sa vente aux enchères en 1983. Il est aujourd’hui estimé entre 60 000 et 80 000 euros.


Rouen, vers 1725-1730. Grand plat d apparat rond de l’ancienne collection Rothschild en faïence à décor en ocre sur fond bleu. Estimation : 60 000 – 80 000 euros.

Un rare exemplaire de l’Histoire naturelle des oiseaux de Buffon enluminé par Martinet

Avec ses mille-huit oiseaux dessinés et gravés sur cuivre, la collection des Planches enluminées de François-Nicolas Martinet (1731-1800) est le plus important ensemble iconographique français consacré à l’étude de l’ornithologie. Dévoilant, avec une rigueur scientifique et un réalisme inégalé toutes les espèces d’oiseaux connues sur terre, ces illustrations constituent depuis le XVIIIe siècle un document scientifique de premier ordre.

Graveur au cabinet du Roi, Martinet est sollicité en 1765 par le jardinier en chef du Roi, Georges-Louis Leclerc de Buffon (1707-1788), qui, parallèlement à sa célèbre Histoire naturelle, s’attelle à la rédaction d’une Histoire naturelle des oiseaux. Soucieux d’offrir une représentation objective et scientifique du monde, Buffon, en digne représentant des Lumières, souhaite enrichir son ouvrage d’illustrations et fait ainsi appel à ce graveur connu, notamment depuis la parution de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, pour ses compositions d’un grand réalisme. Finement enluminées à la gouache et à l’aquarelle, les planches que livre Martinet sont à la hauteur de sa réputation, mêlant à la rigueur scientifique des qualités esthétiques indéniables. Mais devant l’ampleur de la tâche, Buffon décide de réserver les planches enluminées à un nombre limité d’exemplaires : quatre-cent cinquante, dont un petit nombre dans le format de « luxe » grand in-folio, avec un coloris encore plus soigné. C’est un exemplaire de cette rare série de tête, sur grand papier (450 x 332 mm), que présente aux enchères la maison Rouillac. Un bijou de bibliophilie estimé entre 60 000 et 80 000 euros.


François-Nicolas Martinet (France, 1731-1800), Georges-Louis Leclerc de Buffon (Montbard, 1707 – Paris, 1788 ). BUFFON, Histoire naturelle des oiseaux. Paris, Imprimerie Royale. 1771-1786. Exemplaire sur Grand Papier. Neuf tomes (sur dix : le tome X manque) en sept volumes grand in-folio (450 x 332 mm). Plein veau fauve. Pièces de titre et de tomaison de veau cerise. Gardes de papier dominoté. Reliure du temps. Exempts de rousseurs. MARTINET : Collection des Planches enluminées. (Panckoucke, 1765-1784). Exemplaire sur Grand Papier. Cinq volumes grand in-folio (450 x 332 mm). Plein veau fauve. Pièces de titre et de tomaison de veau cerise) Gardes de papier dominoté. Reliure du temps. (Deux coiffes frottées). Estimation : 60 000 – 80 000 euros.

Un portrait familial inédit de Louis Gauffier

Aux oiseaux des Lumières, succède enfin une toile inédite, signée Louis Gauffier (1762-1801). Connue jusqu’alors à travers une esquisse conservée au Musée national du château de Versailles, La Cueillette des oranges ou Réunion de famille d’un diplomate accrédité en Italie sous le Directoire dévoile un portrait familial en plein air, thème cher au peintre français qui se départit des catégories traditionnelles des genres académiques, mêlant le portrait à la scène de genre et à la nature morte au sein d’une composition en frise, caractéristique de la peinture d’histoire néoclassique et évoquant les « conversations pieces » anglaises, destinées aux amateurs de passage à Rome et Florence à la fin du XVIIIe siècle.

Lauréat du Prix de Rome en 1784, Louis Gauffier passa le reste de sa vie en Italie, fuyant les émeutes anti-françaises et se délectant de la dolce vita romaine et florentine. Il dépeint ici une famille réunie autour d’un oranger, planté dans une imposante vasque en terre cuite à l’effigie d’Hermès, au sein des jardins de Boboli, sur les hauteurs de Florence. Au centre de cette scène au charme méditerranéen, une mère, surplombant un paysage arcadien cueille une orange pour l’offrir à sa fille qui, telle une vestale, recueille les fruits du foyer familial. « La Limonaia (orangeraie en français) du jardin du Boboli, adjacente au Palais Pitti, comprenait une très riche collection d’arbres d’agrumes. On peut ainsi s’interroger sur les fruits représentés et sur le lieu. Ne s’agirait-il pas de mandarines, ou plus encore d’oranges amères, comme le laisse penser la forme des feuilles », souligne l’expert Stéphane Pinta. Toujours est-il qu’en 1801, l’artiste reprendra ce motif de l’oranger planté dans un pot dans le Portrait en pied d’un officier de la République Cisalpine, conservé au musée Marmottan à Paris.

Si Louis Gauffier s’est illustré dans le genre du portrait, prenant pour modèles des aristocrates russes, français ou anglais, les groupes familiaux demeurent rares, l’artiste peignant plus volontiers des personnages isolés. Il faudra ainsi compter entre 40 000 et 60 000 euros pour cette toile inédite, redécouverte à la fin du confinement en Avignon où elle était conservée depuis le XIXe siècle.


Louis Gauffier (Poitiers 1762 – Florence 1801), La cueillette des oranges, ou Réunion de famille d’un diplomate accrédité en Italie sous le Directoire. Toile signée et datée (1797-98) en bas à gauche. Haut. 69, Larg. 99 cm. Estimation : 40 000 – 60 000 euros.
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