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Paris sous Louis XV, un plan hors norme

Samedi 12 septembre 2020 à 07h

Cette semaine Daniel nous fait parvenir la photographie d’une très grande gravure. Aymeric Rouillac, commissaire-priseur, nous donne son avis.



« Aucune carte au monde n’est digne d’un regard si le pays de l’utopie n’y figure pas »
Il ne s’agit pas d’Utopia mais bien de Paris. Pourtant, pour contredire une fois n’est pas coutume le grand Oscar Wilde, auteur de cette citation introductive, celle-ci est digne du plus grand intérêt. La carte mesure selon Daniel deux mètres par un mètre et demi : on l’appelle le plan de Turgot.

Michel-Étienne Turgot, est célèbre pour être le père du plus important ministre de Louis XVI. Il occupe pour sa part, de 1729 à 1740, le poste de prévôt des marchands de Paris. Chargé de l’approvisionnement de la capitale, de son commerce fluvial, des travaux publics et du calcul de l’impôt, ce rôle se rapproche pour beaucoup de celui de maire. Si Paris est la plus grande ville occidentale du XIIe siècle à la Renaissance, elle subit au XVIIIe siècle la concurrence d’autres villes européennes. Amsterdam ou Londres connaissent un développement plus important, contrecarrant les projets de l’élite parisienne désireuse de maintenir le rang de première place économique mondiale. Le départ de la cour pour Versailles dès 1682 accroit la perte d’influence relative de Lutèce. En outre, les échanges toujours plus importants avec le nouveau monde profitent principalement aux capitales portuaires. Conscient de ce contexte, Michel-Étienne Turgot souhaite redonner son lustre à Paris et décide de promouvoir la ville grâce à un plan.
Ce projet à l’envergure inédite est confié au dessinateur Louis Bretez. De 1734 à 1736 ce dernier muni d’un laissez-passer dessine immeuble après immeuble, jardin après jardin l’ensemble de la capitale, sur vingt feuilles qui s’assemblent pour former un plan. Claude Lucas, graveur de l’académie des sciences est pour sa part chargé de réaliser au burin les matrices de cette carte gravée. Les noms de Turgot, Bretez et Lucas, figurent dans un cartouche que l’on retrouve dans la partie basse de l’exemplaire de Daniel.

Approximativement réalisé au 1/400e la perspective utilisée est tout à fait particulière. La ville est représentée dans une orientation sud-est, figurant la Seine au nord par soucis esthétique. Au lieu de choisir une perspective mathématique qui aplatirait le dessin urbanistique de la ville, Turgot opte pour une perspective cavalière qui prend quelques libertés avec la réalité. Le plan met particulièrement bien en valeur les édifices parisiens, preuve de la fonction publicitaire de ce plan Turgot. Il est aujourd’hui intéressant de noter l’évolution des réseaux parisiens, la carte présente l’équivalent des onze premiers arrondissements d’une ville qui en compte désormais vingt. Surtout, elle présente la ville avant que ne soient percés les grands boulevards du Baron Haussmann au XIXe, travaux qui ont métamorphosé notre capitale.

Un exemplaire du plan de Turgot en bon état datant du milieu du XVIIIe siècle peut se vendre plusieurs milliers d’euros aux enchères. Malheureusement celui de Daniel laisse quelques doutes quant à son origine. D’abord sa taille ne semble pas correspondre aux 2,49 mètres par 3,18 de l’original. Le grand succès de ce travail a donné lieu au XIXe siècle et plus tard à des retirages d’une qualité inférieure. Néanmoins, en bon état un exemplaire du XIXe peut être estimé autour de 300 à 500 euros. Celui de Daniel comporte quelques accrocs, il faudrait l’analyser pour en avoir le cœur net… et retrouver son chemin dans le Paris d’époques différentes.
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