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Le rugissement de l’Art Déco !

Samedi 05 septembre 2020

Cette semaine, Bernard et Jacqueline d’Yzeure nous font parvenir la photographie d’une garniture de cheminée. Me Philippe Rouillac, commissaire-priseur, nous donne son avis.



Bête blessée disposée à un dernier coup d’éclat, félin prêt à bondir, panthère rugissante, l’animal posé sur l’objet de nos lecteurs nous interpelle inévitablement.

On appelle garniture de cheminée les pendules accostées de deux coupes ou jardinières. Ce type de composition existe dès le XVIIIe siècle, les amateurs d’alors aimant poser sur les consoles et autres cheminées, une horloge accompagnée de deux vases asiatiques montés de bronzes dorés. Les modes changent mais l’idée demeure, dans les années 1930 et 1940, épris des lignes de l’Art Déco, petits maîtres et grands artistes livrent de nouveaux modèles remis au goût du jour. Celle de Jacqueline et Bernard s’articule autour d’une pendule oblongue en marbre. Le décorateur en a utilisé deux différents, alternant entre marbre à fond blanc veiné de beige et marbre à fond noir veiné de blanc que l’on appelle gris Sainte-Anne. Le cadran rectangulaire occupe la partie centrale, il est en métal patiné, figurant les heures en chiffres arabes. On distingue deux orifices prêts à accueillir des clefs de remontoir, preuve que le mouvement est à sonnerie. La pendule est livrée avec deux jardinières au décor correspondant, de forme géométrisée, carrée. Si les lignes de cet objet rappellent inévitablement celles de l’Art Déco, mouvement débutant vers 1910 et s’étalant jusqu’à la seconde guerre mondiale, c’est le graphisme des heures qui en est le plus caractéristique. En effet, on retrouve sur les garde-temps de Cartier, Longines ou Jaeger-Lecoultre une graphie très proche, stylisée et élégante.

L’Art Déco est parfois considéré par les historiens de l’Art comme une période rétrospective, aimant renouer avec le style luxueux du XVIIIe siècle. Force est de constater que surmonter une pendule d’une sculpture animale a donné lieu au siècle des lumières à une multitude de modèles. Pierre Kjellberg, grand historien, les a collectés dans un ouvrage de référence. L’auteur de la pendule de nos lecteurs a peut-être puisé parmi ces versions anciennes. Le félin, animal véloce est alors largement diffusé. Les mascottes, bouchons de radiateurs placés à l’avant des automobiles, sont durant le premier tiers du XXe siècle de véritables œuvres d’art. La version féline de Casimir Brau, ornant les automobiles de la marque Jaguar, font immanquablement figure de référence pour ce style. La posture caractéristique de la sculpture de notre horloge, avec son arrière train baissée, évoque aussi, pour un passionné d’antiquité, le célèbre bas-relief du palais de Ninive, conservée aujourd’hui au British Museum de Londres.

Cependant, la patine de cette sculpture et la qualité moyenne de cette garniture, peut nous laisser supposer qu’il s’agit d’un régule et non d’un bronze. Cet alliage dans lequel le cuivre a été remplacé par le plomb, n’a pas les mêmes qualités plastiques que le bronze, et naturellement il est moins prisé des collectionneurs. Et en l’absence de précision quant au sculpteur, cette garniture de cheminée date sans doute des années 1940, reprenant les lignes de l’Art Déco, mais n’en n’ayant pas le luxe. Le mouvement devant être signé à l’arrière de son mécanisme, cette information nous permettrait d’être plus précis quant à sa datation exacte.

En bon état, si elle fonctionne, on peut l’estimer autour de 100 euros. Au moins cent fois plus si le bronze était l’œuvre de Demeter Chiparus, maître sculpteur des années folles. Il y a fauve et fauve comme artiste et artiste… N’est pas Bugatti qui veut !
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