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Les livres d'oiseaux à la recherche du vrai beau

Lundi 01 juin 2020

par Paul Veyssière

En 1555 fut publiée à Paris l’Histoire de la Nature des Oyseaux, du Manceau Pierre Belon, premier ouvrage entièrement consacré à l’ornithologie, illustré de 160 bois gravés.

Belon, comprenant qu’il est très difficile de distinguer les différentes espèces voisines d’oiseaux sans les riches palettes de leur plumage, souhaita faire peindre tous les exemplaires de l’édition. Malheureusement « le coloris des exemplaires peints est assez enfantin : c’est un simple étalage de couleurs sans aucun intérêt» (1), et seuls quelques-uns furent rehaussés de gouaches.

Au XVIIème siècle, des artistes flamands, comme Adriaen Collaert, Theodoor Galle, ou Albert Flamen, et français, comme Sébastien Le Clerc ou Nicolas Robert, publient des recueils de planches d’oiseaux gravées sur cuivre, dont le but est plus décoratif que scientifique. Cette tendance se confirme au début du XVIIIème siècle, chez des artistes comme Jean-Baptiste Oudry, Jean Pillement, dont les modèles servent à l’impression des tissus dits « Indienne », ou Gabriel Hucquier, dont les planches du Livre des différentes espèces d’oiseaux de la Chine tirés du Cabinet du Roy (vers 1735) sont « davantage du domaine de l’imagination que des reproductions fidèles de la nature, mais le but, décoratif, est atteint ». (2).
Ce n’est qu’à partir du milieu du XVIIIème siècle que l’iconographie ornithologique connaît son âge d’or. En voici les raisons.

Les cabinets de curiosités

La vogue des Cabinets de Curiosités, apparus à la Renaissance en Italie et en Allemagne, se développe rapidement dans toute l’Europe. Elle atteint son apogée au XVIIIème siècle. Ces collections « artistiques et naturalistes » sont réunies par des princes, par des nobles, des armateurs, des bourgeois, des médecins, des apothicaires, des chanoines, des voyageurs, qui, tous, en flattant leur prestige, souhaitent servir la science ; elles sont parfois ouvertes au public, et les plus riches bénéficient d’un catalogue imprimé.

On y présente, au milieu de livres, d’herbiers, d’objets d’art, d’antiques et de fétiches rapportés par les voyageurs au long-cours, des curiosités naturelles, cristaux, coraux, coquillages exotiques, animaux empaillés, sans oublier les fameuses cornes de licornes, et autres chimères merveilleuses.

Bénéficiant du réseau quasi arachnéen des compagnies néerlandaises des Indes Orientales et des Indes Occidentales, les cabinets de curiosités hollandais sont les premiers à tenter de constituer des collections ornithologiques. Les innombrables vaisseaux de ces toutes-puissantes compagnies, premières véritables sociétés capitalistes mondialisées, apportent dans leurs cales, à côté d’épices, de pierres précieuses, de soieries et de curiosités diverses, des spécimens d’animaux exotiques rares, sommairement naturalisés sur le lieu même de leur capture, à savoir le Brésil, la Guyane, les Antilles, ou bien, en passant par Le Cap, Ceylan, les Indes, les côtes malaises, les Moluques, Batavia, Sumatra, Java etc…

« Grâce à la place de plus en plus importante que prenait la marine néerlandaise, la plupart de ces curiosités d’histoire naturelle arrivait dans les ports néerlandais et était vendue parfois à des prix exorbitants ». (3).

Toutefois, jusqu’au milieu du XVIIIème siècle, les collections d’oiseaux restent le point faible des cabinets d’histoire naturelle, en raison des difficultés de leur conservation, comme le déplore P. H. Zollman en 1748 : « That part which treats of birds has remained as yet very imperfect, not has it yet made them sufficiently know to us, because no considerable collections have hitherto been made of them and those who had begun to make any soon became weary of going on, having had the mortification to see them every day destroyed by ravenous insects, in spite of all the care that had been taken to preserve them against their teeth” (4).

Les méthodes de naturalisation, très sommaires, n’ont en effet guère changé depuis le XVIème siècle ; elles sont proches des méthodes utilisées dans les contrées éloignées par les naturels qui avaient pour tradition, avant l’arrivée des Occidentaux, de faire de ces plumages des parures rituelles ou des trophées : les oiseaux sont simplement desséchés au four ou dans le sable chaud. Evidemment imparfaites, ces techniques préservent mal l’éclat des plumages et ne permettent pas une longue conservation des spécimens.

La taxidermie

En 1746, Antoine Ferchaut de Réaumur (1683-1757), auteur d’une fameuse « Histoire des insectes », rédige un mémoire intitulé « Manière de conserver les oiseaux morts avec un air de vie ». Tiré à très peu d’exemplaires, il n’est véritablement diffusé qu’en 1748 dans la traduction anglaise de Zollman, sous le titre de « Divers means for preserving from corruption dead birds, intended to remote countries, so that they may arrive there in a good condition », publiée par la Royal Society of London. (5). Contre la volonté de Réaumur, son importante collection d’oiseaux, naturalisés par ses soins, par des méthodes simples utilisant en particulier l’esprit-de-vin (éthanol) et le soufre, est transportée à son décès, en 1757, au Jardin Royal des Plantes, dirigé par Buffon –qu’il a toujours détesté. Ces méthodes, encore imparfaites, n’en marquent pas moins un progrès considérable, en dépit des critiques de … Buffon.

De son côté, le pharmacien messin Jean-Baptiste Bécoeur (1718-1777), lui aussi grand collectionneur d’oiseaux rares, met au point un procédé de conservation réellement efficace qu’il révèle, à la fin de sa vie, à François Levaillant. Le secret du « savon de Bécoeur », mélange d’arsenic blanc, de camphre, de chaux, de savon de Marseille et de carbonate de potassium, est transmis (vendu peut-être ?) par François Levaillant vers 1795 à Louis Dufresne, conservateur au Museum d’Histoire Naturelle de Paris. C’est en 1803 que Dufresne, pour le définir, invente le mot de « taxidermie ». (6)

Ce mode préparatoire, qui marque une véritable révolution dans l’art de conserver les oiseaux, sera utilisé dans le monde entier jusqu’au milieu du XXème siècle.

Les oiseaux exotiques apportés par les grands voyageurs autour du monde, dans la seconde partie du XVIIIème siècle, tels par exemple James Cook, Louis Antoine de Bougainville ou Pierre Sonnerat, ou par quelques rares aventuriers savants, comme François Levaillant, bénéficient de ces traitements bien supérieurs, et enrichissent de manière durable les vastes collections ornithologiques privées et les museums publics des pays européens..

La classification de Linné

Dans la 10ème édition de son Systema Naturae, publiée en 1758, le naturaliste suédois Carl von Linné (1707-1778), définit la classification binominale (genre et espèce) qui permet de désigner avec précision toute espèce animale – en particulier les oiseaux - ou végétale. Cette méthode de classement, contestée par Buffon, est ignorée par Levaillant, qui n’accorde à vrai dire pas plus de crédit à Buffon qu’à Linné, qu’il désigne sous le nom de « pédants à systèmes ».
Cependant, Manetti, dès 1767, l’utilise dans sa Storia Naturale degli Uccelli. Corrigée par Lamarck et Darwin, la classification linnéenne est toujours d’usage aujourd’hui. Nul doute que la publication du Systema Naturae conforte l’intérêt des curieux naturalistes.

Le perfectionnement des coloris

Les planches enluminées de Manetti et Buffon

La Storia naturale degli uccelli de Manetti (1767-1776) est incontestablement le plus bel ouvrage ornithologique italien. Gravées sur cuivre par Violante Vanni et Lorenzi d’après les modèles peints par Giovanni Domenico Ferretti dans le cabinet de curiosités du sénateur florentin Gerini, les planches sont ensuite rehaussées à la gouache, avec quelques apports d’aquarelle. Très libres, quitte à s’éloigner de la précision scientifique, elles sont fortement marquées par le style rococo  alors à la mode à Florence.

Les 1008 planches de la collection des planches enluminées de Buffon, gravées sur cuivre par Martinet d’après les spécimens d’oiseaux conservés au cabinet d’Histoire Naturelle ou Jardin du Roi, en particulier provenant du Cabinet de Réaumur, sont elles aussi traitées à la gouache et à l’aquarelle, sans mièvrerie, avec un classicisme suave. Elles approchent de la vérité, tout en étant influencées par le « goût Pompadour ». Cette magnifique iconographie est la plus importante qui ait jamais paru en France sur le sujet.

Le Vrai Beau. Les impressions en couleurs de Audebert et Levaillant

L’impression en trois couleurs des estampes est inventée par Jacob Christoph Le Blon (1667-1741). Elle utilise trois plaques de cuivre gravées en manière noire, absolument identiques, chacune encrée d’une couleur primaire (bleu, jaune et rouge), et nécessite donc trois passages sous presse « au repérage ». Reprise en France par son élève Jacques Fabien Gautier Dagoty, cette méthode s’avère complexe, longue, et très coûteuse.

Jean-Baptiste Audebert (1759-1800), peintre et naturaliste, perfectionne, dans les toutes dernières années du XVIIIème siècle, la technique dite « à la poupée », qui permet à Langlois, son imprimeur, de tirer en une seule fois un cuivre enduit de huit couleurs différentes, avec une précision absolue. Les planches de son ouvrage sur les Oiseaux à reflets métalliques (1802), imprimées de cette manière, sont ensuite légèrement rehaussées de gouache, puis de fins réseaux de traits dorés ou argentés. Grâce à cette technique très élaborée, dont le procédé précis reste inconnu, les oiseaux vivent, et les plumages étincelants exaltent leurs nuances changeantes selon l’angle de vue. C’est « le goût du vrai beau », lit-on dans l’Avertissement, qui permet à Audebert et Langlois de surmonter les multiples obstacles techniques. Le résultat est parfaitement convaincant : les planches sont à la fois proches de la vérité scientifique, et leur beauté est incomparable.

C’est encore Langlois qui imprime en couleurs les planches de l’Histoire des oiseaux de paradis de François Levaillant, gravées d’après les remarquables gouaches aquarellées de Jacques Barraband (1768-1809), peintre des manufactures des Gobelins et de Sèvres. Comme dans l’ouvrage d’Audebert, une infime partie triangulaire de la pupille des oiseaux est laissée en blanc, pour donner de la vivacité au regard.

Au tout début du XIXème siècle, « c’est à Paris que l’impression en couleurs atteignit le summum de sa perfection ». (7).

Les lithographies de John Gould

Le procédé lithographique, ou gravure sur pierre calcaire, est découvert en 1796 par Senefelder. En 1837, Godefroy Engelmann met au point la lithographie en couleurs, ou chromolithographie. C’est par la chromolithographie, nécessitant le passage successif de plusieurs pierres enduites de couleurs primaires et parfaitement calées sur la presse que John Gould illustre ses nombreuses monographies – qui ne comportent pas moins de 2999 planches, publiées en plus de 40 ans. Les lithographies sont ensuite rehaussées de gouache appliquée au pinceau.

Ses cinq forts volumes des Birds of Great Britain, assurément le plus bel ouvrage sur les oiseaux du royaume, sont empreints du goût du public anglais du milieu XIXème, que Gould, brillant homme d’affaires, souhaite satisfaire. « Le phénomène John Gould – car c’est un vrai phénomène - ne s’explique que dans le cadre économique et culturel de l’Angleterre victorienne, devenue la plus grande puissance du monde. La noblesse y était nombreuse et fort riche, la haute bourgeoisie si cossue qu’elle pouvait rivaliser avec la première en pompe et en magnificence ». (8)

(1) Ronsil : L’art français dans le livre d’oiseaux, page 13.
(2) Ronsil : L’art français dans le livre d’oiseaux, page 21.
(3) Balis : Merveilleux plumages, page 27.
(4) Philosophical Transactions of the Royal Society of London for the Improvement of Natural Knowledge, vol XLV, Jan.1748. Page 304.
(5) Philosophical Transactions of the Royal Society of London for the Improvement of Natural Knowledge, vol XLV, Jan.1748. Pages 304-320.
(6) Nouveau dictionnaire d’histoire naturelle par une société de naturalistes et d’agriculteurs, Paris, 1803-1804.
(7) Ronsil : L’art français dans le livre d’oiseaux, page 34.
(8) Balis : Merveilleux plumages, page 123.
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