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La nature de l’Art nouveau

Samedi 18 juillet 2020 à 07h

Cette semaine, Pascal nous fait parvenir la photographie d’une sculpture qu’il tient de ses grands-parents. Me Philippe Rouillac, commissaire-priseur, nous donne son avis.



Depuis toujours, la nature est source d’inspiration pour les artistes. L’histoire retient que sous l’Antiquité, le peintre Zeuxis s’efforce de représenter une grappe de raisin si fidèle, que les oiseaux « vinrent voleter auprès d’eux sur la scène ». Mais l’art finit par dépasser la simple reproduction pour donner une interprétation de la nature. Le buste en plâtre polychrome de notre lecteur nous invite à comprendre, par l’interprétation des formes de cette femme aux grappes de raisin, que l’imitation n’est plus servile. En effet, la composition démontre une certaine liberté face à la réalité par le placement des éléments, comme les branches et feuilles de vigne enlaçant le torse de cette femme. Et pour cause, cette œuvre réalisée à la fin du XIXe siècle s’inscrit pleinement dans le style de la période Art nouveau. Bien que portant différents noms en fonction du pays dans lequel ce style se développe (Art nouveau en France et en Belgique, Liberty en Italie, Jugenstill en Allemagne, Sezessionstil en Autriche ou Modernisme en Espagne), il est un mouvement dont les sujets et l’ornementation sont caractéristiques. En majorité, les artistes représentent des femmes entourées de formes végétales. Tel est le cas du buste de Pascal, comme du grand bronze d’Alphons Mucha intitulé La Nature dont un exemplaire est conservé aux Musées royaux de Bruxelles.

Si ce mouvement artistique se présente comme une véritable révolution du point de vue esthétique, il l’est tout autant en ce qui concerne la conception des œuvres. Entre autres, l’ambition de l’Art nouveau est de démocratiser l’art grâce à l’industrie. Le buste de Pascal s’inscrit encore pleinement dans cette démarche, comme le démontre les marques apposées au revers. En plus d’une signature de Cicciarelli, un cachet porte l’inscription « SCVLPTURE / Friedrich Golscheider / Wien. REPRODUCTION RÉSERVÉE ». En plâtre, ce buste a été réalisé d’après un modèle de l’artiste Cicciarelli, avant d’être édité par la maison de céramique de Friedrich Goldscheider. Si le premier n’est a priori pas passé à la postérité, le second en revanche est bien connu. Friedrich Goldsheider met en place une manufacture de porcelaine et de céramique spécialisée dans la reproduction de sculptures. En tout 10.000 modèles ont été réalisés, parmi lesquels le buste de femme de notre lecteur. Trois générations de Goldsheider ont édité les modèles livrés par des artistes contemporains. Si Vienne est le centre de l’industrie, la maison Goldsheider a aussi une filiale à Paris, ce qui explique l’inscription en français. Les œuvres orientalistes par Goldsheider sont nombreuses, tout comme les bustes de femme aux fleurs et grappes de raisin. En ce sens, les Goldsheider comprennent pleinement tout l’intérêt de produire en grand nombre des œuvres correspondants de leurs contemporains. Ainsi ils mettent en œuvre une industrie prolifique et économiquement rentable.

Des exemplaires très similaires à celui de notre lecteur sont régulièrement présentés en vente publique et plus généralement dans le commerce de l’art. En raison des grandes qualités décoratives de cette sculpture, elle peut être estimée autour de 500 euros.
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