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La Fontaine en majesté

Samedi 20 juin 2020 à 07h

Cette semaine, Brigitte nous fait parvenir la photographie d’un petit buste à la figure de Jean de La Fontaine. Me Philippe Rouillac, commissaire-priseur, nous donne son avis.



« Maître Corbeau, sur un arbre perché, tenait en son bec un fromage. Maître Renard, par l'odeur alléché, Lui tint à peu près ce langage : "Hé ! Bonjour, Monsieur du Corbeau. Que vous êtes joli ! Que vous me semblez beau ! ». Ces derniers mots pourraient être ceux que nous pourrions avancer à l’auteur de ces vers, nous contemplant depuis son piédestal. Mais s’il nous semble beau, son œuvre l’est encore plus et marque véritablement la littérature française en général et du Grand siècle en particulier.

Et pourtant, ses parents ne le prédestinaient pas à embrasser cette formidable carrière. Son père l’inscrit au séminaire de l’Oratoire en 1641. Mais il n’y reste qu’un an, car préférant l’année suivante s’adonner à la lecture de François Rabelais ou d’Honoré d’Urfé. Il finit alors par côtoyer les chevaliers de la Table ronde où il rencontre les auteurs Paul Pellisson et François Charpentier. La route est longue pour arriver jusqu’à l’écriture de son œuvre... Il poursuit des études de droit avant d’acquérir la charge de maître particulier triennal des eaux et forêts de Château-Thierry, sa ville natale. Néanmoins, il se trouve plus préoccupé par ses poèmes que par la gestion des terres dont il a la charge. Ses premières années littéraires restent difficiles car le succès n’est pas au rendez-vous à la publication de son premier ouvrage en 1654. Son talent est toutefois rapidement décelé par celui qui par le faste de ses fêtes fait de l’ombre au roi soleil. Protégé par Nicolas Fouquet, le surintendant des Finances, La Fontaine voit sa carrière prendre un tournant considérable, bien que restant à l’écart de la Cour. L’arrestation de Fouquet et la fidélité de La Fontaine à son mécène destitué, lui valent en effet les foudres de Colbert et de Louis XIV. Il n’empêche qu’il profite d’une ascension exceptionnelle, les années 1664 à 1679 étant l’apogée de sa carrière. C’est à partir de 1668 qu’il rédige effectivement ses premières Fables, connues de tous les écoliers d’aujourd’hui et d’hier et des amateurs de littérature, trouvant en ces vers l’inspiration gréco-latine et notamment d’Ésope.

Sa carrière est finalement consacrée par son entrée à l’Académie française en 1684. Devenu immortel, ses traits le sont aussi par la captation de son visage par les artistes français. Au XVIIIe siècle, le comte d’Angiviller commande une série sculptée des Grands Hommes dans laquelle La Fontaine figure en bonne place, aux côtés de Montesquieu par exemple. Réalisée en pied par Pierre Julien en mémoire du talent littéraire de La Fontaine, l’œuvre est destinée à jalonner la Grande galerie du Louvre, lieu du futur Muséum. La mémoire de La Fontaine est sauve. Elle l’est encore plus au XIXe et au début du XXe siècle par la fabrication manufacturée de petits sujets en bronze ou en régule, à l’instar de celui de notre lectrice mesurant précisément 14 centimètres de hauteur. Ceci s’explique par le fait que le XIXe siècle, est celui de la statuomanie et de la commémoration constante de la mémoire des hommes de talent. La plupart des pièces réalisées se fondent sur des œuvres produites par des maîtres de l’école ancienne. Le modèle du petit sujet de Brigitte est difficilement identifiable. Toutefois, ses traits sont proches du portrait sculpté de La Fontaine proposé par Jean-Antoine Houdon. Grands maîtres du siècle des Lumières, Houdon est un artiste fameux pour les blésois et tourangeaux au regard de la Diane chasseresse conservée au Musée des Beaux-Arts de Tours. Mais dans tous les cas, ce modèle a été tiré dès le XVIIIe siècle, car d’autres exemplaires anciens et de meilleure facture existent.

Dans tous les cas, il est certain que le sujet de notre lectrice est de production moderne, comme en témoigne la qualité des matériaux et surtout des ciselures. Les tâches seraient le signe d’un alliage différent de celui du bronze, qui comprend à la fois du cuivre et de l’étain. Un alliage vraisemblablement de fer doré semble avoir été utilisé pour sa réalisation. En l’espèce, ce petit sujet pourrait être estimé autour de 50 euros. Un prix modeste permettant à tous de commémorer l’œuvre littéraire d’un auteur si prolifique.
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