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Une Singer « Sphinx » pour survivre à la malédiction du Pharaon ?

Samedi 13 juin 2020 à 07h

Cette semaine, Paul-Edmond nous fait parvenir la photographie d’une machine à coudre Singer. Aymeric Rouillac, commissaire-priseur, nous donne son avis.



Avec sa multitude d’usages, la machine à coudre permet de gagner un temps considérable : assembler les pièces de tissus entre elles, en définir les contours pour ne pas qu’ils s’effilochent, surfiler, surjeter, broder… les possibilités sont presque infinies ! Dès la fin du XIXe siècle, presque tous les ateliers de couture utilisent une piqueuses comme le modèle de Paul-Edmond. Un utilisateur expérimenté pouvait ainsi, avec cette machine révolutionnaire, effectuer la totalité des coutures que nous avons indiquées.

C’est un certain Isaac Merrit Singer, d’une famille allemande né à New-York, qui donne son nom à l’un des appareils les plus emblématiques de son époque : Singer. Fonctionnant un peu comme un yo-yo, l’aiguille, dans des va-et-vient verticaux, fait passer le fil à travers une navette. Nous sommes en 1851 et son entreprise devient un leader incontesté du marché, produisant jusqu’à 70% des machines vendues dans le monde ! Vers 1885, les usines new-yorkaises de Singer s’établissent en Écosse, d’où provient la machine de Paul-Edmond.

Outil d’émancipation féminine par le travail, ces machines à coudre étaient vendues comme le sont aujourd’hui les automobiles : en leasing. Cela permettait aux femmes les plus modestes d’obtenir une technologie qui leur aurait été impossible d’acquérir en payant comptant. Innovation, simplicité, universalité, le mythe Singer était né ! Aujourd’hui encore, les machines Singer font rêver petits et grands, comme Alys dix ans, qui a appris à coudre à Vendôme sur une de ces machines à la fin du confinement pour confectionner des masques.

Le modèle que présente Paul Edmond est posé sur sa table de travail d’origine, munie d’un pédalier, qui permet d’actionner mécaniquement l’aiguille et modifié par l’adjonction d’une lampe. Sans pouvoir lire son numéro de série – les archives Singer permettraient à coup sûr d’obtenir la date exacte – un indice laisse supposer qu’elle a été produite peu après 1922. Le long bras en métal laqué noir de la machine est en effet marqué d’un sphinx…

Le goût pour l’Égypte ressurgit en effet à cette époque, 125 ans après la campagne de Bonaparte au pays des Pharaons. La découverte du tombeau de Toutankhamon par l’archéologue Howard Carter en 1922 suscite alors l’intérêt du monde entier. Les Européens se reprennent à rêver de temples dans le désert. Cette machine à coudre n’échappe pas à ce fantasme, doublé du frisson de la mystérieuse « malédiction du pharaon » qui emporte dans la mort un certain nombre de participant à cette aventure archéologique.

La machine de Paul-Edmond souffre ainsi de son succès. Elle a été produite à des millions d’exemplaires, peut-être des dizaines de milliers pour ce même modèle au sphinx ! Si beaucoup sont perdus, il en reste tout de même des milliers dans les greniers et dans les brocantes. Son estimation s’en ressent donc de 30 à 50 euros.

Ces derniers mois ces machines à coudre ont retrouvé leurs lettres de noblesses, à l’heure de la relocalisation des confections de masques. Un siècle après sa création, la Singer sphinx demeure adaptée pour les couturières. Qi sait… Pour échapper à la malédiction du Pharaon les archéologues auraient-ils du se protéger avec un masque comme ceux que nous portons aujourd’hui ?
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