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« Ô temps, suspends ton vol… »

Samedi 06 juin 2020 à 07h

Cette semaine, Luc nous fait parvenir la photographie d’une pendule surmontée d’un volatile. Me Philippe Rouillac, commissaire-priseur, nous donne son avis.



L’objet présenté par Luc est une horloge flanquée de deux vases au décor homogène. On parle dans ce cas de garniture de cheminée. Cette pendule qui nous évoque inévitablement l’Art Déco, prend la forme d’un volume rectangulaire à pans coupés dans les angles supérieurs. Les vases qui l’entourent reprennent dans la partie haute la même ligne et sont incurvés vers la base. La matière qui les compose est une brèche blanche veiné de noir et d’ocre. Il est proche d’un marbre que l’on appelle la brèche Médicis. Deux piles verticales pour la pendule, et une pour chaque vase, sont faites d’un bloc différent dont la couleur rompt avec le fond blanc. Ce marbre de couleur noire et veiné d’or est très connu des amoureux du règne de Louis XIV qui l’adorait. On l’appelle le Portor et il ornait les consoles et les gaines des sculptures du Château de Versailles. Tirant son nom de Porto Venere, sur la côte de Gênes, il revient durant la période Art Déco un marqueur de grand luxe. C’est peut-être ce que l’on préfère dans l’objet de Luc.

Témoin de ce style Art Déco, le cadran rectangulaire inscrit entre les deux bandes en Portor, figure les heures en chiffres arabes très « années 30 ». Le cadran présente deux orifices à clefs, le premier pour remonter le mécanisme, le second pour la sonnerie. Enfin, le cadran est surmonté d’un élément en bronze naturaliste : une colombe. Cet élément décoratif reprend pour une part une tradition qui naît elle aussi sous Louis XIV. En effet les pendules des XVIIème et XVIIIème siècles sont pour la plupart ornées à l’amortissement – la partie supérieure – d’un sujet en bronze doré. L’horloge de Luc présente d’autre part, une filiation avec un élément décoratif qui lui ait contemporain : la mascotte automobile. Les voitures du début du XXème siècle se distinguaient par leurs bouchons de radiateurs travaillés, ancêtres des sigles modernes des marques automobiles. Parmi eux, les mouettes – Renault - cigognes – Hispano-Suiza - et autres coqs – Schneider - sont parmi les plus fréquents. Si on a perdu la référence aujourd’hui, elle devait être plus lisible à l’époque. Par ailleurs, toute personne à l’âme poétique sera interpellée par l’image arrêtée du vol d’une colombe. Moment fugitif plaqué sur l’inexorable temps donné par l’horloge.

L’intérêt de la pendule de Luc, réside pour une part dans l’utilisation – parcimonieuse – d’un marbre rare, et d’autre part dans les éléments qui résonnent entre l’Art Déco et l’art des XVIIème et XVIIIème siècles. La modernité n’est pas toujours une manière de faire table rase du passé, elle est souvent une façon de piocher, d’adapter le goût classique aux innovations du temps. Toutefois, la pendule de Luc ne peut être rattachée aux premières heures de ce nouveau style. Elle est plutôt, d’époque 1940 à notre avis. Les plus beaux modèles de pendule Art Déco, œuvres de Jean Goulden ou de Cartier par exemple, ont inspiré de nombreux horlogers et décorateurs. Pas dénuée d’intérêt, mais trop courante et trop tardive, nous pourrions estimer la garniture de cheminée de Luc entre 100 et 200 euros si la colombe est un bronze, la moitié si elle est en métal vil : régule. L’Art Déco retient dans le début du XXème siècle le luxe du grand siècle. Le volatile immobile surmontant le temps qui passe, nous rappelle ce vers introductif du grand poète Lamartine tiré du poème Le Lac.
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