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Jean Roudillon (1923-2020) : un œil universel pour un autre regard

Mercredi 13 mai 2020

In mémoriam

Jean Roudillon en 2016 au château d'Artigny,lors d'une vente Garden Party organisée par Philippe et Aymeric Rouillac
Jean Roudillon en 2016 au château d'Artigny,lors d'une vente Garden Party organisée par Philippe et Aymeric Rouillac

Du haut de ses 96 printemps, Jean Roudillon, qui était le doyen des experts français en activité depuis 1953, nous quitte. Alors qu'il avait assisté mon grand-père, Jean Lelièvre, et mon père, Philippe Rouillac, dans leurs jeunesses, je restais émerveillé de son regard toujours curieux et plein de sagesse sur des objets venus de très loin dans l'espace et dans le temps. Secondé par un duo de sœurs d'une incroyable intégrité, Jean Roudillon était à sa manière le « Charly et ses drôles de dames » de notre profession. Installé rive gauche, sur le boulevard Saint-Germain, il était l’archétype de l’antiquaire devenu expert sans jamais se laisser tenter par le conflit d’intérêt. La présence fidèle de Pierrette Rebours à ses côtés garantissait une réponse des plus rapides de toute la place de Paris, aux innombrables demandes d'expertises électroniques venues de toute la France.

Que nous soyons au fin fond de la Province, chez un prestigieux collectionneur genevois ou dans un appartement bourgeois parisien, Jean Roudillon avait l'œil sûr, plongeant dans sa prodigieuse mémoire le souvenir d'un nom, d'une pièce, d'une collection qu'il connaissait. Dissertant avec passion du temple de Sélinonte ou des tombes des dynasties ptolémaïques, l’homme était un inconditionnel des analyses scientifiques : thermoluminescence, Carbonne 14… C’était une façon d’assurer à son œil universel l'ancienneté d'une pièce que des siècles de générations de faussaires avaient pu avoir l'occasion de copier. Il se trompait rarement et ne nous a jamais trompés. Quatrième génération d’antiquaires, expert près l’Académie des inscriptions et belles lettres, il était l’un des découvreurs de l’art primitif, échangeant avec André Breton, et pionnier dans bien des domaines.

Cet élégant auvergnat à la barbe poivre et sel, rehaussée d’un foulard de soie sur une chemise largement ouverte, portait des pantalons de velours côtelés aux couleurs vives, retenus par un ceinturon en or précolombien. Sa grande prudence lorsqu'il ne sentait pas un objet n'avait d'égal que son appétit d'une jolie pièce, déclarant à une cliente après avoir fait le tour de ses vitrines : « plus je connais votre collection plus j'ai envie de faire l'amour avec ! »… pour la plus grande joie de la dame et de son mari. Voyager avec lui était un bonheur rare. Sacrifiant aux plaisirs de la table, il partageait généreusement ses souvenirs d'une époque que seuls les livres sont maintenant capables d'évoquer. Qui d'autre que lui pouvait raconter, tel André Malraux en Indochine, comment son amour des temples aztèques l'avait conduit dans les geôles du nouveau monde, comment emporter la vente Derain après avoir offert gracieusement son travail d'expertise à la veuve de l'artiste, ou évoquer le souvenir de Madeleine Rousseau à la façon d’une danse de ces fétiches africains qu’ils connaissaient tous deux si bien ?

Jean Roudillon a marqué par son nom soixante-dix ans de ventes publiques française, aimant passionnément les objets qui les animent comme ceux qui y participent, sans que jamais je ne l'entende dire du mal de qui que ce soit, emportant avec lui de nombreux secrets.

À ses collaboratrices, à son épouse et à ses enfants nous voulons dire notre amitié et nos pensées les plus émues.

Aymeric, Philippe et Christine ROUILLAC
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