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Des enchères caritatives pour les artistes précaires

Mercredi 29 avril 2020

Le Monde, Harry Bellet

Robert COMBAS, Perdu dans la forêt plein de trucs et de fleurs plein de couleurs, 2019

La maison de ventes Rouillac organise, du 30 avril au 6 mai, une opération en ligne lors de laquelle quelque 400 œuvres d’art seront proposées. Le bénéfice sera intégralement reversé aux artistes dans le besoin.

Les ventes caritatives d’art contemporain sont fréquentes, spécialement en ces temps de crise, mais celle-ci est d’un genre inhabituel : elle est organisée non pas au profit des personnels soignants – la maison Piasa, du 3 au 5 avril, avait ainsi recueilli 2,4 millions d’euros – ou de celui des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) – la maison Tajan, du 21 au 27 avril, avec un résultat de 255 000 euros –, mais pour venir en aide… aux artistes !

C’est ce que fait la Fondation Taylor, depuis 1844. Sans doute pas la plus célèbre parmi ces institutions, mais l’une des plus anciennes, créée à l’initiative du baron Taylor (1789-1879), reconnue d’utilité publique en 1881, c’est l’une des plus importantes associations œuvrant, sur un principe de solidarité, à la défense des artistes. Installée dans le 9e arrondissement de Paris, elle a pour vocation de soutenir la création en organisant des expositions ou en attribuant des bourses.

L’actuelle épidémie l’a conduite à s’associer avec d’autres figures un peu hors norme : Philippe et Aymeric Rouillac, commissaires-priseurs à Vendôme (Loir-et-Cher) et à Tours (Indre-et-Loire), sont connus pour leurs trouvailles, qui rendent parfois jaloux leurs confrères parisiens. Françoise Monnin dirige le magazine Artension depuis 2010, qui prend la défense d’artistes trop souvent négligés par les instances officielles. Puls’Art organise depuis une trentaine d’années un salon d’art au Mans (Sarthe), et la Canadienne Isabelle Reiher dirige depuis 2019 le centre d’art contemporain (CCC OD) de Tours.

Aymeric Rouillac, commissaire-priseur :
« Des dizaines d’artistes sont en détresse, ils ne pouvaient plus tenir : les galeries sont fermées ; les salons, annulés »

Tout est parti d’une demande d’artistes du Vendômois, qui ont contacté les commissaires-priseurs, raconte Aymeric Rouillac : « Leur association, Assemblage, nous a demandé de faire quelque chose. Des dizaines d’artistes sont en détresse, ils ne pouvaient plus tenir : les galeries sont fermées ; les salons, annulés. J’ai appelé la directrice de la revue Artension qui m’a dit que tous, ou presque, sont dans la gêne, et qu’elle m’aiderait le cas échéant. »

Ils lancent donc leur idée sur les réseaux sociaux, sous le hashtag #SoutiensUnArtiste. Le succès est immédiat, les dossiers affluent, cinq cents en quatre jours, au point qu’il a fallu clore l’offre, car il s’agit d’une vente publique et elle répond à certaines normes légales qui supposent un gros travail administratif, sur les mandats de vente notamment.

Un emblème d’aide à la création

Paradoxalement, la complexité en la matière vient de ce que tous les intervenants sont bénévoles. Ni les commissaires-priseurs ni la Fondation Taylor, qui va recevoir une partie des fonds pour les redistribuer, ne prennent le moindre sou, ni les vendeurs ni – et c’est une révolution – les acheteurs : tout ira aux artistes.
Des artistes très connus ont donné des œuvres sur lesquelles ils ne toucheront rien pour soutenir leurs confrères moins bien lotis

Ceux qui vendent leurs œuvres à leur propre profit, tout d’abord. « Nous en avons retenu 353 en tout, en excluant les pratiques amateures. Il s’agit de venir en aide à des artistes qui n’ont que ça pour vivre. » Mais #SoutiensUnArtiste a échappé à ses créateurs, qui s’en félicitent, et est en train de devenir, sur les réseaux sociaux, l’emblème de toutes les aides à la création.
La vente va aussi proposer des artistes très connus. Ils ont donné des œuvres sur lesquelles ils ne toucheront rien pour soutenir leurs confrères moins bien lotis : Ernest Pignon-Ernest, Robert Combas, Jacques Villeglé, mais aussi la photographe Sarah Moon, ils sont nombreux à avoir fait preuve de générosité. Des galeristes aussi : Hervé Courtaigne donne cinq dessins d’André Derain ! D’autres ont été moins réceptifs, quand ils ont compris qu’ils devraient renoncer à leur pourcentage, au bénéfice des seuls artistes.

Des collectionneurs enfin : Jean-Claude Volot, par exemple, donne trois toiles de sa collection. Les montants de ces ventes-là iront à la Fondation Taylor, qui les répartira par tranche de 1 000 euros entre des artistes dans le besoin. D’autres, comme Antoine de Galbert, ont annoncé qu’ils participeraient massivement à la vente, mais comme acheteurs.

#SoutiensUnArtiste, par enchères électroniques, du jeudi 30 avril (18 heures) jusqu’au mercredi 6 mai (15 heures) sur Rouillac.com

Harry Bellet
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