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Sous la protection d’une déesse japonaise

Samedi 28 mars 2020 à 07h

Cette semaine, une lectrice de Fréteval nous fait parvenir la photographie d’un vase en porcelaine. Me Philippe Rouillac, commissaire-priseur, nous donne son avis.



En ces temps où la mondialisation accélère la circulation des épidémies, il est bon de rappeler qu'elle a aussi permis des échanges féconds, culturels et marchands, depuis des millénaires. L'Asie a toujours fasciné les Occidentaux que ce soit pour sa porcelaine, ses laques ou ses soieries.

Ce vase ne fait pas exception puisqu'il vient tout droit du Japon et s'apparente à la production connue sous le nom de Satsuma. Il figure un personnage chauve venant s’instruire auprès d’une figure féminine nimbée, dans un décor couvrant.
La porcelaine de Satsuma se caractérise par un goût prononcé pour les motifs dorés, pourpres et ivoires, ceci afin d'exalter l'imaginaire des clients occidentaux. En effet, si le Japon a connu une fermeture totale de ses frontières - un véritable "confinement" de deux siècles entre les années 1630 et 1850 ! - il s'est rouvert de force au commerce avec l'étranger. Dès 1853, les navires américains du Commodore Perry, obligent l'Empereur nippon à mettre fin aux limitations isolationnistes de l'archipel. Les produits en provenance du Japon déferlent bientôt en Europe par milliers, avec l'aide des grandes Expositions Universelles. Des artistes et créateurs ne restent pas insensibles aux charmes de l'Orient : Émile Gallé, Édouard Manet, Vincent Van Gogh, tous fascinés par le minimalisme du Pays du Soleil Levant. Cette vogue qui fait florès dans les arts décoratifs est appelée « japonisme ».

À l'origine de la porcelaine de Satsuma se trouve un élément central de la culture japonaise : la cérémonie du thé. Véritable art de vivre, ce rituel nécessitait une production de céramiques prestigieuses. Or, la technique au Japon n'est pas toujours bien maitrisée au cours de l'Histoire. C'est vers 1590 au profit d'une guerre avec le voisin coréen, qu'un "daimyo", seigneur de guerre japonais, installe des potiers captifs venus de Corée à Satsuma. L’endroit est situé sur l’île de Kyūshū à l’extrémité sud-ouest de l’archipel japonais, à quelques neuf cents kilomètres de l’ancienne capitale Kyoto, et mille trois cents de l’actuelle Tokyo… Le bout du monde au bout du monde ! Pourtant, Satsuma devient rapidement un centre important de production et le reste même après l'invasion américaine. Pour mieux exporter les vases, les artisans finissent par leur donner toutes les caractéristiques appréciées par les clients étrangers, quitte à les exagérer : des couleurs vives, des personnages aux traits asiatiques et un emploi immodéré de l'émail doré. Dans les années 1900, face à la concurrence des copies chinoises (déjà), est mis en place un marquage sous la base des porcelaines mentionnant la fabrication au Japon. Vers 1920, ce marquage commence même à être traduit en anglais pour être lisible par les occidentaux.

Le vase de notre lectrice ne peut donc pas dater d'avant les années 1920-1930, il comporte cette mention "made in Japan". Son décor non plus, ne laisse aucun doute quant à la période de production : il s'agit d'une représentation très commune sur les pièces de ces décennies, figurant la déesse bouddhique Kannon (Guanyin en Chine). En vente aux enchères, ce vase pourrait être estimé autour de 60 à 80 euros et il n'est pas rare d'en trouver dans les vide-greniers ! Figure protectrice majeure du bouddhisme, la déesse Kannon protège les personnes en détresse. Un saint Pérégrin Laziosi à l’extrême orientale.
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