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Liberté Égalité Sexualité

Vendredi 08 juin 2007

La Gazette Drouot

Montparnasse est d’abord le royaume des femmes. Modèles, artistes, concubines ou mères adoptives, elles sont toutes formidables.

NOUS ÉTIONS JEUNES, profondément impliqués dans notre art, pleins de confiance en notre talent et en notre pouvoir, avec la volonté de nous en sortir, de travailler, et, bien sûr, d’aimer », raconte la peintre russe Marevna Vorobev, à propos de son arrivée à Montparnasse, en 1912. Comme elle, des centaines de femmes artistes adoptent le quartier. Libres, audacieuses, elles s’inspirent de l’attitude des modèles féminins, installés à Montparnasse par centaines depuis le XIXe siècle et qui font le pied de grue chaque lundi devant la Grande Chaumière, espérant quelques heures de pose. Parmi elles, Kiki, Bourguignonne éblouie à douze ans par le luisant des pavés qu’elle croyait cirés, est celle qui donne le ton, depuis que Foujita l’a repérée puis présentée à Kisling, à Man Ray et à tous les autres... Si nombreux qu’à vingt-huit ans elle rédige déjà ses Mémoires ! Autour d’elle, sa grande amie, la gymnaste Treize, travaille également bien. Tout comme Tylia et Bronia, sœurs hollandaises de seize et dix-huit ans, et Jacqueline, Zinah, Claudia, Geneviève, Pâquerette ou encore Aïcha, débauchée par Pascin dans un cirque pour en faire sa muse, après Louise, Rebecca, Paquita, Césarine, Simone, Claudia et Elvire, à peine âgée de quatorze ans ! « Leur parfum, leur maquillage, les toilettes époustouflantes qu’elles s’étaient confectionnées, l’aura fantastique qui les enveloppait », selon l’artiste suisse Irène Zurkinden à son arrivée, constituent un exemple interna- tional d’émancipation.
Les artistes, elles aussi, sont affublées de surnoms par les hommes qui les entourent, amusés, fascinés. Jeanne Hébuterne – la compagne de Modigliani – est dite Noix de coco, Jeanne Labaye, Haricot rouge, tandis que Bourdelle, dont l’épouse s’appelle vraiment Cléopâtre, surnomme ses plus chères élèves Vol d’hirondelle ou Le Sphinx. Foujita rebaptise l’orpheline Lucie du joli prénom de Youki. Et toutes ces belles convolent, en plus ou moins justes noces, à Montparnasse. Lucy, l’apprentie charcutière devenue le modèle de Matisse, épouse Krohg, tandis que Severini conduit la fille de Paul Fort, âgée de seize ans, devant Monsieur le Maire. Trois jours de fête saluent en 1917 le mariage de Kisling avec la peintre Renée Gros, alors que Foujita épouse Fernande Barrey, rencontrée quelques jours plus tôt, et que Modigliani s’installe avec sa Jeanne. Marie Laurencin est dans les bras d’Apollinaire, Elsa Triolet dans ceux d’Aragon, Lili, la sœur d’Elsa, dans ceux de Maïakovski, et Man Ray tombe fou amoureux de son assistante, Lee Miller. Modèles, artistes et compagnes, les femmes de Montparnasse sont aussi des mères nourricières précieuses. Ainsi de Madame Charlotte, dans la crémerie de laquelle Gauguin reçoit ses amis, ou Rosalie, l’ancien modèle de Bouguereau, elle aussi devenue crémière, rue de la Grande- Chaumière. Emblématiques, Marie Vassilieff et son amie Marie Blanchard transforment de 1915 à 1918 leur atelier en cantine pour artistes. « Les deux Marie de la peinture et de la mouise », comme on les appelle, trouvent même le moyen, en pleine période de disette, d’organiser un banquet pour le retour de Braque, blessé de guerre, en 1917. Quand on aime on ne compte pas.
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