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Chomo le retour du Singulier

Lundi 07 juin 2010

par Laurent Danchin et Aymeric Rouillac

Un jeune homme très doué

Roger Chomeaux naît en 1907 à Berlaimont dans le Nord. Doué d’un sens inné du volume, il entre rapidement à l'école des Beaux-Arts de Valenciennes, puis à celle de Paris, où il pratique la peinture et la sculpture. Étudiant apprécié de ses professeurs, il remporte plusieurs prix, avant de trouver un emploi dans une maison spécialisée dans la réalisation de tapis, tandis que son épouse vend des laines à domicile, quai des Grands Augustins. Mais la seconde guerre mondiale éloigne ce jeune artiste prometteur, déjà père de quatre enfants, dans un stalag de Pologne, dont il revient révolté. Au cours de la décennie suivante, il se réfugie dans la forêt de Fontainebleau où sa femme a acheté quelques hectares. Il adopte alors un langage parallèle et signe désormais "Chomo". En 1960, sa première exposition à la galerie Jean Camion, rue des Beaux-Arts, est un succès. Les derniers surréalistes se pâment devant ses bois brûlés, mais Chomo fuit la gloire et l'argent et il met aussi bien à la porte un Jean Cocteau enthousiaste que la mécène de la galerie : Alix de Rothschild. Il décide alors de quitter définitivement Paris. Commence la nouvelle vie d'un homme inclassable.

Un artiste visionnaire

Chomo s'installe seul à Achère-la-Forêt, entouré d'amis de passage et recevant des visiteurs le samedi et le dimanche. Écologiste avant l'heure, gardien d’abeilles – il possèdera jusqu’à vingt ruches –, il travaille le bois, le feu et les esprits. Le chemin qui conduit à son domaine, où il travaille à ciel ouvert, est constellé d'écriteaux. On y lit par exemple : "Qèl anprint ora tu lésé sur la tèr pour qe ton Die soi qontan ?" Car Chomo développe une écriture phonétique dont la poésie envahit son oeuvre. On l'appelle l'ermite de la forêt, et, lui, imagine le monde futur : entre rêves cosmiques, observations biologiques et désastre environnemental. Il baptise ainsi son coin de forêt : "Village d'Art Préludien" : car son art est le prélude, la clé de compréhension et d'accès, au nouveau monde qui s’annonce.

Un sculpteur hors norme

Délaissant le bronze, la terre cuite et le marbre, Chomo choisit délibérément des "matériaux qui respirent". La tôle, le bois, le plastique, le verre ou le béton sont sources de découvertes permanentes. Il réinvente sans cesse la figure de l'Homme, de Dieu et du Monde. Entre récupération et nature, le sculpteur poursuit ses séries de bois brûlés. Il modèle aussi des grillages qu'il peint ou incruste de plastique fondu et de matériaux divers. Détournant des jouets d'enfants, Chomo les stigmatise pour leur donner plus qu'une nouvelle vie : une âme. Le béton cellulaire, ou siporex, lui ouvre des perspectives nouvelles : "Je le sculpte comme on écrit un poème" explique t-il à ses visiteurs. Son travail de patine sur chacun de ces matériaux inattendus trahit la très grande connaissance de ses classiques, bien qu'il s'en défende et prétende avoir mis 40 ans à désapprendre l'enseignement des Académies

Un génie protéiforme

Chomo est un artiste total. Ses dessins et peintures répondent à ses sculptures avec fidélité et audace. Mais l'artiste s'attaque aussi à l'architecture et à l'art du vitrail : il construit trois bâtiments de bois, de grillage et de bouteilles. Le premier s'appelle "Sanctuaire des bois brûlés" ; le deuxième, "L’Église des Pauvres", est agrémenté d'une rosace spectaculaire et le dernier, le "Refuge", recouvert de capots de voitures. C’est Clara Malraux qui, envoyée en observation sur place, convainc le Ministère des affaires culturelles du génie créatif de l'artiste, dont la liberté n’a plus à souffrir désormais des règlements. Mais Chomo considèreque son grand oeuvre est ailleurs. Après avoir été le pionnier de la musique concrète dans la forêt de Fontainebleau, entre synthétiseur et poésie, le sculpteur devient cinéaste. Ses vingt heures de tournage dans les années 1980 sont à la pointe du cinéma expérimental. Le titre du film sonne comme un programme : "Le débarquement spirituel". Chomo décède en 1999 au milieu de ses oeuvres, veillé par sa seconde épouse, mais dans l'indifférence totale des pouvoirs publics, du marché de l'art et du sérail culturel. Dix ans après sa mort la Halle Saint-Pierre, musée de la Ville de Paris, vient de lui offrir sa première grande rétrospective, et son oeuvre affronte pour la première fois le feu des enchères à Cheverny.

Aymeric ROUILLAC
Laurent DANCHIN, écrivain, critique d’art, commissaire d’exposition
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