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Un appareil photo de la Belle Époque

Samedi 14 mars 2020

Cette semaine, Albert de Villefrancoeur nous fait parvenir l’image d’un appareil photographique. Me Philippe Rouillac, commissaire-priseur, nous donne son avis.



L’imitation de la réalité a depuis toujours fasciné les Hommes. En témoignent l’histoire de Pygmalion amoureux de sa propre statue ou celle des raisins peints de Zeuxis picorés par des oiseaux car plus vrais que nature. Cette imitation servile s’est faite jusqu’au début du XIXe siècle grâce aux techniques artistiques les plus classiques : la peinture, la sculpture ou la gravure. L’apparition de la photographie donne les moyens de passer à une toute autre échelle. L’imitation est dépassée par la captation de la réalité. L’ambition des Hommes devient toute autre depuis les premières recherches de Nicéphore Niepce en 1822. Ce dernier donne naissance à l’héliogravure qui est un mode de reproduction usant d’une chambre noire et d’une plaque de béton recouverte de bitume de Judée. La première image photographique de l’histoire est un Point de vue du Gras dont l’original est conservé aux États-Unis. Les recherches s’accélèrent après ces premières expériences. Le fameux daguerréotype voit le jour en 1837 grâce à la collaboration de Niepce et Daguerre. L’histoire de la photographie se présente ensuite comme une succession de techniques : calotype, collodion humique, ferrotype, trichromie, autochrome…

L’appareil stéréo-pochette d’Albert est un digne héritier des premiers appareils. Produit par le fabricant Lucien Joux, installé à Paris rue d’Enfert, il est une nouveauté des années 1900. Réalisé en bois et métal, cet appareil est présenté par son fabricant comme une « construction de précision » qui comporte selon une publicité de l’époque « tous les perfectionnements désirables : obturateur faisant la pose et l’instantanée avec des vitesses très variables, diaphragmes iris, mise au point sur échelle graduée ou sur glace dépolie, viseur clair…». Beaucoup de promesses et de termes très techniques pour vanter les mérites de cet appareil ! Mais son intérêt principal réside en la présence de deux objectifs supportés par une platine sur glissière. Cette nouveauté offre une vue panoramique grâce à l’effet du décentrage des objectifs. Le cadrage est de ce fait bien plus large qu’avec un appareil photographique moins perfectionné.

À la Belle Époque autour de 1900, la photographie commence à se démocratiser. Comme le dit le slogan Kodak, il ne suffit que « d’appuy[er] sur le bouton ». Les amateurs et les familles se procurent des appareils pour capter les moments de la vie tandis que les professionnels regardent d’un œil nouveau ce nouveau moyen d’expression. Servant autant à la réalisation de portraits que de reportages journalistiques, la photographie s’appréhende comme un médium « multitâche ». Les artistes et particulièrement les peintres sont partagés sinon soucieux face à la concurrence de cette nouvelle technique. « Servante de la peinture » comme la considère Baudelaire, la photographie n’accède aux rangs des arts qu’après 1914, grâce aux recherches stylistiques des avant-gardes artistiques.

L’appareil photographique d’Albert est un modèle bien référencé chez les spécialistes. Considéré comme rare dans les vides-greniers non spécialisés, il pourrait être estimé entre 200 et 300 euros aux enchères.
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