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La Terreur des fripons !

Samedi 07 mars 2020 à 07h

Cette semaine, Marc à Blois nous fait parvenir la photo d’une gravure plutôt coquine. Me Aymeric Rouillac, commissaire-priseur, lui donne son avis.



L’auteur de cette image s’appelle Antoine-Louis Sergent, dit Sergent-Marceau. Il nait à Chartres en 1751 et demeure célèbre tant pour la qualité de ses gravures que pour sa participation à la Révolution française. Né Sergent, l’artiste épouse la fille du général révolutionnaire Marceau, qui a donné son nom à la fameuse avenue parisienne. Cette image coquine présente deux intérêts : technique et historique.

D’abord sa technique, dont l’aspect nous permet de supposer qu’il s’agit d’une rare aquatinte. Cette méthode est proche de la gravure à l’eau-forte. Il s’agit pour l’artiste d’enduire une plaque de métal d’une poudre et de déposer un vernis au pinceau qui formera le dessin à reproduire. En plongeant la plaque dans un bain d’acide, les surfaces non protégées par le vernis seront « mordues ». Ces zones « mordues » créent alors des cavités dans lesquelles accroche l’encre dont l’imprimeur la recouvre. En pressant la plaque encrée contre du papier on peut ainsi reproduire l’image à volonté. La technique de l’aquatinte est particulièrement à la mode à la toute fin du XVIIIe siècle. Parfois rehaussée à l’aquarelle, elle permet la multiplication d’images de qualité et des effets de lavis jusque-là très difficiles à reproduire.

C’est ensuite la date de l’estampe « 1789 » qui constitue l’autre intérêt de cette œuvre. Elle en dévoile en effet une signification cachée. Un couple de jeunes gens friponnant dans une grange est surpris par les parents de la jeune fille, dont la gorge est dévoilée. Le père prend un bâton pour frapper un luxurieux jeune homme, parti se réfugier en haut d’une échelle dans les foins, tandis que la mère tire d’horreur les cheveux de sa fille… Nous sommes entre Fragonard et Houdon, entre scène lascive, et scène moralisatrice.

Le titre « Il est trop tard » illustre une lecture littérale du sujet : la virginité de la jeune fille est définitivement perdue. Pourtant, lorsque l’on replace cette œuvre dans son contexte historique, elle prend une signification bien plus politique. 1789 est l’année de la prise de la Bastille, à laquelle souscrit l’artiste Antoine-Louis Sergent, qui prendra part personnellement aux massacres dans les prisons parisiennes en septembre 1792. C’est un révolutionnaire convaincu, pillant le palais des Tuileries et partisan acharné de la mort du roi Louis XVI. Cette estampe devient dans ce cadre une allégorie. Le jeune homme représente symboliquement une noblesse supposée concupiscente, et le vieil homme le tiers état venant bâton à la main la chasser de France. En 1789, la Révolution française est en marche. Si certains croient encore à un modèle parlementaire, pour les plus extrémistes comme Antoine Sergent « Il est trop tard. » Viendra bientôt le temps de la Terreur.

Compte-tenu de sa rareté et de son intérêt, cette estampe peut être estimée entre 200 et 300 euros. Mais pour cela il faut qu’elle soit bien originale et en très bon état. Cette aquatinte nous rappelle l’importance de replacer les œuvres dans leurs contextes historiques. Souvent étudiées rétrospectivement pour leurs seules qualités plastiques, les estampes, grâce à leur multiplication, permettaient de diffuser des idées révolutionnaires au moyen des images friponnes.
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