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Commedia dell’arte à l’indonésienne

Samedi 22 février 2020 à 07h

Cette semaine, Gérard de Souesmes nous fait parvenir la photo d’un masque qu’il a découvert en Indonésie. Me Philippe Rouillac, commissaire-priseur, nous donne son avis.



En bois polychrome, ce masque a la particularité de cacher à son revers une fine languette de cuir. En la retenant entre les lèvres on doit pouvoir le maintenir très longtemps en place. Ce masque a peut-être été « dansé ».
Le visage blanc crème, les lèvres rehaussées de rouge, les sourcils peints de noir et de doré, ce visage est pour nous occidentaux très énigmatique. Le nez relativement proéminent s’oppose aux standards du pays dont il est issu : nous sommes face à ce que nous appellerions un masque « grotesque ». Non pas grotesque au sens de ridicule, mais grotesque au sens d’étrange.

Le bois exotique dans lequel il a été fabriqué est d’une très grande légèreté, pourtant la sculpture des cheveux traités en cascade, finement sculptés, témoigne d’une solidité certaine. Cette résistance a permis de figurer les dents de façon individualisée. La cordelette qui passe entre les narines nous semble quant-à-elle rapportée et non pas d’époque.
La première question qui doit nous interroger est la suivante : de quelle région précise provient ce masque ?
On connaît en Indonésie une grande tradition du théâtre dansé. Il prend la forme d’une représentation où le comédien porte tour à tour un ensemble de masques dans un ordre précis et immuable. Cette danse porte le nom de « Danse Topeng ». Bien qu’il y ait une multitude de personnages, ces derniers sont les mêmes. Le « Punta » introduit toujours la représentation - il s’agit d’une sorte de bouffon – le « Dalem Sidhakarya » - un magicien - accomplit quant-à-lui les rites finaux. Entre l’introduction et la conclusion, de nombreux masques sont utilités en opposition. Entre profane et sacré, cet art évolue entre une poésie mêlée de religion d’un côté, et un humour grivois et caricatural de l’autre.
L’objet présenté par Gérard, nous semble par son esthétique caractéristique issu de cette tradition. Il a dû être produit sur l’île de Java ou sur celle de Bali.

Mais quel personnage peut donc figurer ce mystérieux déguisement ?
Nous ne saurions être parfaitement catégorique sur ce point, tant la diversité des figures est grande et tant cette culture est éloignée de la nôtre. Pourtant nos recherches nous poussent à penser qu’il pourrait s’agir de « Dewi Siti Sundari ». Cette fiancée mythologique est un personnage central de Mahâbhârata, la plus grande épopée de la mythologie hindoue. Syncrétisme et mélange de cultures, le théâtre indonésien se nourrit des mythes de ses voisins.
Si nous avons mis l’accent sur la grande distance qui nous sépare de la culture indonésienne, il faut également noter l’universalité du théâtre masqué. En Europe aussi, du théâtre grec au polichinelle de notre enfance, le masque se fait aussi bien porteur de culture classique que symbole d’humour léger et populaire.
Datant probablement du premier tiers du XXe siècle, cette production est peut-être à tort, encore assez délaissée des collectionneurs. Nous l’estimerons entre 200 et 400 euros.

Ce Polichinelle indonésien vous donnera peut-être envie de vous rendre en ce moment même à Tourville-la-Rivière, à deux heures de route de Vendôme, pour le festival des arts de la marionnette !
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